samedi 21 janvier 2012

Quand l' Eglise interpelle les consciences....pour 2012

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source: la documentation catholique N° 2478 (20 Nov 2011 )

Quelle participation chrétienne à la vie politique ?

Les situations géopolitiques diffèrent d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre, mais ce qui ne l'est pas, c'est l'impératif fondamental rappelé par les évêques  : la politique doit d'abord être au service de la dignité humaine. Une nouvelle fracture ne se dessine-t-elle pas aujourd'hui  ? D'un côté, nous voyons des citoyens longtemps écrasés sous le joug de dictatures qui luttent et meurent pour plus de justice, de liberté, et, de l'autre, les vieilles démocraties snobant les urnes. Les raisons en sont multiples. Cependant, les évêques exhortent les hommes de bonne volonté à dépasser les apparences, s'obliger à discerner ce qui contribue à faire grandir l'homme, s'engager pour que le bien commun profite à tous. Il est des secteurs dans l'organisation politique d'une nation où les citoyens et plus encore les chrétiens se doivent d'être attentifs. Les évêques français en pointent quelques-uns  : la vie naissante, la famille, l'éducation, la jeunesse, l'environnement, l'économie, le handicap… S'il est un parti que l'Église revendique, c'est celui de l'humain, soulignent les évêques suisses  : « L'Église ne fait pas de la politique de parti, toutefois elle prend parti. Tout homme et toute femme annonçant l'Évangile prend parti pour l'humain ». Il n'en reste pas moins qu'au moment où l'électeur est dans l'isoloir, il est seul avec sa conscience. Voilà pourquoi il lui est nécessaire, en amont, de se forger une pensée. C'est ce à quoi les évêques de la République démocratique du Congo (RDC) se sont employés en exhortant les électeurs  : « Nous souhaitons tous que les prochaines élections se déroulent dans la transparence, la vérité et la paix pour inscrire notre pays dans le registre des nations respectables et dignes. Nous sommes convaincus que ce pari peut être gagné mais il faut un sursaut national et une véritable metanoïa, un changement de cœur, de mentalité et de pratiques ».

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Texte de la Conférence des évêques de France

En accompagnement de leur message, les évêques du Conseil permanent ont publié 13 points d'attention sur lesquels les électeurs chrétiens pourraient s'interroger et interpeller les candidats aux élections.Texte de la CEF
De sa contemplation du Christ, l'Église tire une vision cohérente de la personne en toutes ses dimensions, inséparables les unes des autres. Cette vision peut servir de guide et de mesure aux projets qu'une société doit se donner.


Vie naissante


Chaque personne est unique aux yeux de Dieu. L'engagement résolu des chrétiens n'est pas dicté d'abord par une morale mais par l'amour de la vie que ni la maladie ni l'âge ne peut amoindrir. Il est impératif que les autorités publiques refusent l'instrumentalisation de l'embryon. De même, l'avortement ne peut en aucun cas être présenté comme une solution pour les mères en difficulté. Les chrétiens doivent veiller à ce que la société consacre de grands efforts pour l'accueil de la vie.


Famille


En créant l'être humain, « homme et femme », Dieu a suscité une relation de complémentarité à la fois biologique et sociale qui se retrouve dans toute la société. La différence sexuelle de l'homme et de la femme est fondatrice et structurante de tout le devenir humain. De plus, l'union de l'homme et de la femme scellée dans le mariage est le moyen le plus simple et le plus efficace d'accompagner le renouvellement des générations et d'accueillir les enfants pour les introduire en ce monde. La famille, fondée sur l'union durable de l'homme et de la femme, doit être aidée économiquement et défendue socialement car, à travers les enfants qu'elle porte et qu'elle éduque, c'est l'avenir et la stabilité de la société qui sont en jeu.


Éducation


L'éducation est une des expressions majeures du respect de la personne. Une éducation juste implique  : la liberté et la responsabilité des parents, la transmission à tous des savoirs essentiels, l'attention spécifique à ceux qui rencontrent des difficultés scolaires, le respect de la liberté de conscience, des enseignements respectueux de la dignité et de la beauté de la vie humaine.


Jeunesse


L'intégration des jeunes générations est un objectif incontournable pour toute société. Chez nous, divers facteurs rendent cette intégration difficile. L'aide aux familles dans leur responsabilité éducative, les conditions de la vie étudiante, l'entrée dans la vie professionnelle, la possibilité de fonder une famille indépendante, etc., sont autant de domaines dans lesquels le soutien institutionnel et financier de la collectivité ne doit pas être perçu comme une faveur, mais comme un investissement nécessaire à la cohésion et à la paix sociales.


Banlieues et cités


Depuis quelques années, malgré des efforts répétés, certains quartiers et certaines cités deviennent des lieux de violence, de trafics. Plus généralement, certains de leurs habitants s'y trouvent enfermés, ne parvenant pas et parfois ne voulant plus prendre pied dans la société globale. Une politique purement répressive ne saurait suffire ni résoudre les problèmes de fond. Des efforts d'aménagement, notamment de renouvellement de l'habitat et des transports, sont nécessaires. Des initiatives doivent être prises pour aider les habitants à comprendre la société où ils se trouvent et à s'en considérer comme partie prenante. Un certain nombre d'associations jouent un rôle important qui doit être soutenu et encouragé.


Environnement


La terre est un don d'amour fait par le Créateur pour que l'homme soit le gérant de ce bien donné. En l'invitant à dominer la terre, Dieu ne l'a pas invité à l'épuiser ou à la détruire. C'est pourquoi l'Église invite la société à promouvoir des modes de vie respectueux de l'environnement et à intégrer cette préoccupation dans le développement économique et social. Les prouesses techniques dont la société est capable sont à encourager si elles sont respectueuses de l'« écologie humaine » (Benoît XVI).


Économie et justice


Le travail demeure une nécessité fondamentale pour la structuration de la personne. C'est pourquoi l'objectif de toute politique économique doit être d'offrir à tous ceux qui se présentent, et en particulier aux jeunes, une perspective de travail et une véritable préparation à l'emploi. Une politique économique qui se résoudrait au maintien dans la dépendance vis-à-vis de l'État serait contraire à cet impératif. Les autorités publiques doivent créer les conditions d'une plus grande justice dans la vie économique en veillant à l'équité des salaires, des prix et des échanges. L'équilibre de la société exige la correction des écarts disproportionnés de richesse. Mais la société ne se limite pas aux échanges économiques. La gratuité qui est à l'œuvre dans la vie associative et culturelle est une des conditions de sa vitalité. L'État doit encourager et faciliter les citoyens à s'engager financièrement et personnellement dans des associations de tous ordres qui renforcent le tissu social.


Coopération internationale et immigration


Le bien commun implique la paix entre personnes et entre nations. Il proscrit l'usage de la force entre les États, sauf dans les situations extrêmes où toute autre solution est impossible. Il appelle un partage des richesses et le développement des actions de coopération. Il passe par des institutions internationales dont le fonctionnement et les actions servent efficacement la dignité des personnes et des peuples. L'Église reconnaît à tout homme le droit d'émigrer pour améliorer sa situation, même s'il est regrettable que tous ne puissent pas survivre dans leurs pays. Mais dans un monde aussi organisé que le nôtre, une régulation des migrations est nécessaire. Elle ne peut pas se réduire à une fermeture protectrice des frontières. Elle doit permettre d'accueillir au mieux ceux qui se présentent, avec respect et sérieux, et en leur offrant une vraie possibilité d'intégration.


Handicap


Nos sociétés modernes s'honorent d'un renouvellement du regard sur les personnes handicapées. Elles savent leur permettre de trouver leur place dans la vie sociale. Les chrétiens y reconnaissent volontiers un écho de l'attitude du Christ rencontrant et réconfortant des personnes malades ou atteintes de handicap (Mc 1, 40  ; Lc 5, 17…). Ce souci doit donc être encouragé. Mais le dépistage prénatal systématique qui risque de déboucher sur l'élimination des personnes porteuses de certains handicaps remet en cause en son fondement même la solidarité envers le plus faible qui doit animer la société.


Fin de vie


Toute personne, quel que soit son âge, son état de fatigue, son handicap ou sa maladie, n'en garde pas moins sa dignité. Pour cette raison, « l'euthanasie est une fausse solution au drame de la souffrance, une solution indigne de l'homme » (Benoît XVI) car elle vise, sous prétexte de compassion, à abandonner les personnes au moment où elles ont le plus besoin d'aide et d'accompagnement. L'arrivée de générations importantes dans le grand âge doit inviter la société à une plus grande solidarité. Le développement des soins palliatifs, fruit d'un progrès éthique et scientifique, doit être poursuivi pour que tous ceux qui en ont besoin puissent en bénéficier.


Patrimoine et culture


Notre pays hérite de l'effort culturel des générations précédentes. La culture ne coïncide pas avec la production culturelle ou même avec la réception de ses produits. Elle permet à chaque personne d'inscrire sa destinée dans la communauté humaine avec celle des autres devant les horizons de la plus grande espérance. Il est souhaitable que les pouvoirs publics assemblent les conditions pour que les jeunes générations profitent de ce que nous lègue le passé pour se projeter dans l'avenir.


Europe


Le projet européen peut être compris de bien des manières. En son origine, il représente un magnifique effort pour assumer l'histoire d'un continent en termes de pardon et de promesse. Dans le monde globalisé où nous vivons, bien des réalités ne peuvent être traitées qu'à cette échelle. Mais la construction européenne appelle des États capables de proposer et de défendre un projet clair, en vue de créer un espace de liberté et de créativité.

L'Union européenne est devenue le cadre institutionnel de beaucoup des activités humaines en notre pays. Mais elle agit trop souvent comme une instance administrative et même bureaucratique. Le marché unique est un beau projet dans la mesure où il est sous-tendu par une vision spirituelle de l'homme. Les chrétiens désirent que l'Europe, loin de réduire l'homme à n'être qu'un consommateur sans cesse insatisfait et soucieux de ses droits, permette à ses habitants d'agir de façon responsable, avec les ressources spirituelles, morales, économiques et politiques qui sont les leurs, pour le bien de l'ensemble du monde.


Laïcité et vie en société


Dans notre pays, la relation entre l'Église catholique et l'État a été marquée par une histoire difficile et souvent conflictuelle. Cette relation est aujourd'hui largement apaisée et c'est une bonne chose pour l'équilibre de notre société. Nous vivons dans un régime de séparation – depuis la loi de 1905 – et la laïcité est un principe constitutionnel de la République française. À plusieurs reprises et notamment lors du centenaire de la loi de 1905 (1), l'Église a affirmé accepter le cadre dans lequel nous nous situons. Séparation ne signifie pas ignorance réciproque  ; nombreux sont les lieux et les occasions de rencontre, de dialogue, tant au plan local que national. Si l'État ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte (art. 2 de la loi de 1905), il se doit d'assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes (art. 1). C'est dans le sens de la liberté que la jurisprudence a de façon constante interprété la loi. Récemment le débat sur la laïcité est revenu sur le devant de la scène, en raison de la présence plus nombreuse de citoyens de religion musulmane et des questions posées par certaines pratiques minoritaires. Ces débats ne doivent pas stigmatiser les religions dans notre pays au risque d'aboutir à la laïcité la plus fermée, c'est-à-dire celle du refus de toute expression religieuse publique. Certaines pratiques administratives ont montré que ce risque n'est pas illusoire. De même, certaines réactions excessives, dans des débats récents, ont montré que l'intolérance à l'égard de l'Église catholique (et des religions en général) ne constituait pas uniquement des vestiges du passé. Les catholiques n'entendent pas être des citoyens interdits de parole dans la société démocratique. En exprimant ce qu'ils pensent, ils ne vont pas à l'encontre de l'intelligence et de la liberté de jugement de ceux qui ne partagent pas leur foi. Ils souhaitent une application apaisée et ouverte des lois et des règlements qui définissent le pacte laïc de notre commune République.


Références bibliographiques:


- Vatican II, Constitution pastorale sur l'Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes, décembre 1965.

Catéchisme de l'Église catholique, coéd. Centurion/Cerf/Fleurus-Mame, § 2196 à 2463, 1998.

- Conseil pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l'Église, coéd. Bayard/Cerf/Fleurus-Mame, décembre 2005.

- Benoît XVI, L'amour dans la vérité ; DC 2009, n. 2429, p. 753 et suiv.

- Conférence des évêques de France, Conseil Famille et Société, Grandir dans la crise, coéd. Bayard/Cerf/Fleurus-Mame, coll. Documents d'Église, mars 2011.




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Y a-t-il une morale en politique ?

Homélie de Mgr Jean-Pierre Grallet

Le 10 juillet, en la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg (Alsace), la Messe pour la France (1) a été célébrée par Mgr Jean-Pierre Grallet, archevêque du diocèse. Dans son homélie, Mgr Grallet a rappelé la nécessité de « réhabiliter le politique, revaloriser l'action publique et moraliser notre vie en société ».
Texte du secrétariat de Mgr Grallet (*)

L'actuelle affaire new-yorkaise − je préfère ne pas citer les protagonistes (DSK-Diallo et autres…) – est dans tous nos esprits et nous nous interrogeons inévitablement sur les rapports entre morale et politique, comme sur les rapports entre vie publique et vie privée et les rapports entre bien commun et intérêts particuliers. Régulièrement des affaires embarrassantes font la une de nos médias et provoquent chez beaucoup, scepticisme et critiques  : « Il n'y a donc pas de morale », « Sont-ils tous pareils  ? ». Avant l'affaire new-yorkaise, il y avait les conflits d'intérêt autour d'une très riche famille, sans compter auparavant les emplois fictifs, les pots-de-vin et les trucages dans les marchés publics, les écoutes et les rumeurs  : car les « affaires », hélas, n'ont jamais manqué  ! Beaucoup en viennent alors à ne voir dans la gestion des affaires publiques qu'arrangements partisans sans référence à un quelconque bien commun et, par déception, à se détourner des affaires publiques en un repli apeuré et désabusé…

C'est la raison pour laquelle le Conseil de l'épiscopat français « Famille et Société » vient de publier Grandir dans la crise pour aider nos contemporains à dépasser les paralysies actuelles et que le cardinal André Vingt-Trois, en introduisant notre assemblée plénière des évêques d'avril dernier, invitait à dépasser le pessimisme ambiant  : « Beaucoup d'observateurs ont relevé le paradoxe de la société française, à la fois morose et découragée, malgré ses ressources objectives. Il ne me semble pas exagéré de parler d'une société marquée par la peur […]. Dans une période préélectorale − et qui devient de plus en plus électorale tout court − cette peur latente et diffuse peut devenir un levier démagogique puissant, surtout quand l'apparence tient lieu de réalité et la formule de raisonnement […]. Notre mission nous incite à ne pas nous laisser embarquer dans le tourbillon du jeu des apparences mais à privilégier les analyses et les recherches argumentées » (2).

Comment donc ne pas céder à la facilité des jugements tout faits et à la sinistrose hexagonale  ? Comment réhabiliter le politique, revaloriser l'action publique et moraliser notre vie en société  ?

Interrogés, deux députés français de formation politique différente confiaient  : « La moraleen politique, c'est essentiellement accorder ses paroles et ses actes. Dans une société de transparence, l'exemplarité des hommes et des femmes politiques sera de plus en plus vérifiée par les citoyens. Le double langage et le mensonge seront donc de plus en plus rapidement sanctionnés. Nous devons vivre en accord avec nos principes et non avec l'air du temps », disait cet homme de centre droit, tandis que cette femme, socialiste, affirmait  : « Lamorale en politique doit concerner tous les comportements, dans tous les secteurs, par rapport à l'argent public, par rapport à la fonction, par rapport au respect des autres dans la vie de tous les jours… Quand on vote une mesure, il s'agit de servir des intérêts publics et non des intérêts privés  ! » (La Croix, 10 juin 2011).

Ces propos font du bien. Ils répondent à l'attente profonde de nos concitoyens en quête de sens pour leur vie. Il n'est donc pas inutile, chers amis, responsables de la vie publique française, et aussi européenne, de réaffirmer la nécessité et la bonté de la vie politique, le devoir de promouvoir le bien commun, la nécessité d'en poser, ensemble, les repères essentiels, enfin l'utilité d'une morale publique – même si saint Thomas d'Aquin faisait remarquer avec réalisme que « la loi civile ne peut jamais être entièrement conforme à la loimorale ».

Notre Église n'a pas de programme politique et tient au respect des consciences et au choixpolitique éclairé et personnel de chaque citoyen. Par contre, à travers ce qu'il est convenu d'appeler « la doctrine sociale », l'Église propose dans un « compendium » des repères pour penser et agir dans la sphère publique. Ces quelques principes, frères et sœurs, je souhaite vous les rappeler maintenant. Ils concernent trois domaines principaux  : la vie personnelle, la vie en commun et la gouvernance publique.


1. La dignité de la personne humaine ou le principe personnaliste


« L'Église voit dans l'homme, dans chaque homme, l'image vivante de Dieu même » (Compendium, 105-107). Le principe personnaliste concerne donc la dignité absolue, le caractère central, l'intangibilité de la personne humaine considérée selon ses aspects essentiels d'individualité et de sociabilité  ; elle doit être le sujet, le fondement et la fin de toutes les actions sociales  : la personne humaine ne peut jamais être exploitée. La société doit se mettre à son service  : elle peut aussi exiger beaucoup de ses membres mais ne jamais se servir d'eux. Le devoir du plus fort de protéger le plus faible s'inscrit dans cette logique ainsi que la protection de la famille, lieu de croissance de la personne humaine, de l'enfant protégé par ses parents et faisant l'expérience structurante de la différence entre père et mère, entre parents et enfants, entre frères et sœurs…

Le principe personnaliste se concrétise dans la promotion de la dignité humaine à tous les niveaux, contre tout type de discrimination économique, politique, linguistique, raciale, religieuse, etc. et en particulier dans la promotion des droits humains fondamentaux. Il s'agit donc bien du « développement intégral de tout homme et de tout l'homme » selon la fameuse expression de Paul VI (Populorum progressio, 1967) (3).


2. Le bien commun, la destination universelle des biens et la solidarité


Le bien commun, si menacé aujourd'hui par un individualisme poussé jusqu'à l'égoïsme, ce bien si nécessaire à chaque citoyen, est à respecter, à développer par tous, à promouvoir par chacun et par l'État. « Les exigences du bien commun concernent avant tout l'engagement pour la paix, l'organisation des pouvoirs de l'État, un ordre juridique solide, la sauvegarde de l'environnement, la prestation des services essentiels aux personnes, et dont certains sont en même temps des droits de l'homme  : alimentation, logement, travail, éducation et accès à la culture, transport, santé, libre circulation des informations et liberté religieuse » (Compendium,166).

À ce principe du bien commun, il convient de joindre celui, essentiel, de la destination universelle des biens  : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient, à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples en sorte que les biens de la création doivent équitablement parvenir aux mains de tous selon la règne de la justice, inséparable de la charité » affirmait le concile Vatican II (GS 69). Ce principe est à la base du droit universel à l'usage des biens et implique une législation qui encadre l'économie, la circulation des biens et la protection sociale. Une attention spéciale est toujours à donner aux plus démunis et il est à l'honneur de l'Église de rappeler son « option préférentielle pour les pauvres », à la suite du Christ se souciant en permanence des malades et des pauvres. « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne faisons pas pour eux des dons personnels, mais nous leur rendons ce qui est à eux. Plus qu'accomplir un acte de charité, nous accomplissons un devoir de justice » affirme clairement saint Grégoire le Grand (cf. Compendium, 182-184).

Quant au principe de solidarité, il invite à mettre en application ce qui vient d'être dit auparavant  : solidarité entre les groupes et les régions, solidarité nationale et internationale. La charité de Dieu est à vivre en toutes nos solidarités humaines et conditionne nos liens politiques et économiques, en France, en Europe et dans le monde. Les questions écologiques sont à situer à ce niveau de solidarité internationale. Car nous n'avons qu'une terre, cette terre est à tous et pour les générations futures  : ce qui se fait chez nous retentit ailleurs et ce qui se fait ailleurs retentit chez nous. Il n'y a pas de bonheur personnel qui ne puisse durer sans préoccupation du bonheur d'autrui  ! « Tous, nous sommes responsables de tous  ! » proclamait Jean-Paul ll (Sollicitudo Rei socialis, n. 38) (4).


3. Enfin, deux principes de gouvernance  : la subsidiarité et la participation


Le principe de subsidiarité appelle à favoriser et à soutenir ce qui peut être fait au plus petit échelon d'initiative, c'est-à-dire à veiller à ce que l'autorité supérieure ne supplante pas la responsabilité légitime du niveau inférieur. Subsidiarité vient de subsidium, subside, aide  : l'autorité supérieure doit donc aider et non étouffer l'autorité inférieure.

« Ce principe s'impose parce que toute personne, toute famille et tout corps intermédiaire ont quelque chose d'original à offrir à la communauté. […] Certaines formes de concentration, de bureaucratisation, d'assistance, de présence injustifiée et excessive de l'État et de l'appareil public contrastent avec le principe de subsidiarité » (Compendium, 187).

Enfin, de ce principe de subsidiarité découle celui de la participation de tous à la vie publique et au bien commun. Sans participation des citoyens, aucune cité ne s'édifie, aucune communauté, aucune démocratie ne peuvent exister. La participation (le vote en est une forme éminente), est donc un droit et un devoir de chaque citoyen et de chaque gouvernement. La participation est toujours un signe de bonne santé publique  : Puisse l'Alsace ne pas perdre cette bonne tradition participative  !

Frères et sœurs, il est temps de conclure. Ces principes étant dits comme autant de repères pour notre vivre ensemble, en France et dans le monde, il nous faut maintenant les mettre ou les remettre en pratique, en croyant qu'une vie commune est possible dans le respect de quelques règles morales fondamentales.

Oui, il nous faut croire en notre capacité et en celle des autres à nous aimer, à nous faire confiance et à respecter ensemble la justice et le droit.

Oui, malgré tout, il y a une morale en politique parce qu'au cœur de tout homme un germe de bonté divine ne demande qu'à éclore.

Citoyens, dirigeants, croyants, cet appel du Pape Benoît XVI est pour nous aujourd'hui  : « Le développement est impossible s'il n'y a pas des hommes droits, des acteurs économiques et des hommes politiques fortement interpellés dans leur conscience par le souci du bien commun  ! » (Caritas in veritate, 71) (5).

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L'Église est politique !

Message des évêques suisses

La Conférence des évêques suisses (CES) a décidé de ne plus écrire de lettre pastorale à l'occasion du Jeûne fédéral (1). Au lieu de cela et en alternance, un membre de la CES prépare un message sur un thème décidé en commun. Le thème de cette année, « L'Église est politique ! », a été choisi en prévision des élections fédérales de cet automne. Le Père Martin Werlen, OSB, abbé de l'abbaye d'Einsiedeln (canton de Schwytz), a publié dans la revue suisse des diocèses de Lausanne, Genève et Fribourg,Évangile et mission, une réponse de l'Église aux forces et mouvements politiques en place, qui, pour certains, remettent fondamentalement en cause l'engagement politique de l'Église.Texte dans Évangile et Mission n.  13, juillet 2011 (*)

En première ligne…

Il est évident que l'Église est politique. Et même en première ligne… Bien des gens l'oublient trop vite. La grande majorité des Suissesses et des Suisses sont baptisés. Ils font partie de la communauté ecclésiale. Appelés aux urnes comme citoyennes et citoyens de notre pays, ils s'engagent politiquement. Bien des baptisés assument des responsabilités au niveau de l'État, en s'efforçant, par leur savoir et leur conscience, de promouvoir le bien commun.

… et à différents échelons

Il arrive souvent que des associations et organisations d'Église, ainsi que des commissions de la Conférence des évêques ou la Conférence elle-même, s'expriment en politique. Nous entendons des responsables d'associations et de commissions, ainsi que des personnes engagées dans la pastorale ou encore des membres de la Conférence des évêques, exprimer publiquement leur opinion au sujet de certains thèmes politiques.

Politique partisane  ? Oui et non

L'Église en tant que telle ne s'affaire pas dans la politique partisane. Toutefois, chaque parti compte sur l'engagement de baptisés. Tous les partis soulèvent des questions légitimes et les intègrent dans le débat politique. Les chrétiennes et les chrétiens qui s'y engagent sont appelés à le faire en tant que baptisés – pour le bien intégral de l'homme, de tout homme, indépendamment de sa nationalité, religion, sexe, âge et santé.

Prendre parti

L'Église ne fait pas de la politique de parti, toutefois elle prend parti. Tout homme et toute femme annonçant l'Évangile prend parti pour l'humain. Tous doivent pouvoir vivre vraiment, trouver la vie en plénitude (cf. Jn 10, 10). L'Église prend parti pour les sans voix. Elle prend parti pour ceux et celles qui sont bafoués dans leur dignité – dont la vie vient d'être conçue, qui sont handicapés, malades ou âgés, ou encore étrangers. Elle prend parti pour ceux et celles qui ne sont pas considérés dans un vis-à-vis, mais comme objets. Elle appelle à la solidarité là où certains dépendent du soutien d'autrui. Elle revendique la justice pour tous les hommes comme fondement de la paix, s'engage pour une justice et une protection sociales destinées à tout le monde, élève sa voix là où l'on s'enrichit égoïstement aux dépens de l'autre. L'Église s'engage pour la famille, l'éducation et la formation, exhorte à développer une attitude responsable face à la création et à ses ressources. Il y a beaucoup de défis face auxquels l'Église doit élever la voix dans l'opinion publique, si elle veut demeurer fidèle à sa mission.

Impliquer l'homme

Dans tout cela l'Église ne possède pas la solution. Mais elle peut et veut contribuer à ce que l'on trouve de bonnes solutions. Grâce à sa dimension catholique (globale), elle dispose d'un grand trésor d'expériences. Elle est habituée à regarder au-delà des frontières. Elle se propose surtout de placer dans le débat politique l'homme et ses exigences concrètes. Elle rappelle constamment que le développement économique à lui seul ne suffit pas, il y a d'autres aspects qu'il faut voir. Il en va de l'homme dans sa totalité. Il en va de tout un chacun.

Rendre service à l'intégration

L'Église n'est pas une société parallèle. Elle est au milieu de ce qui vit – auprès des hommes. Sa vocation propre est d'être levain – pour le salut des hommes, pour le salut du monde. Précisément parce que l'Église est présente dans toute culture, couche de population, secteur de travail, parti, génération, elle possède une force spéciale d'intégration. Elle peut réunir autour de la même table des personnes ayant des opinions et des visions du monde différentes, pour lutter ensemble en vue de solutions équitables dans un esprit de respect mutuel.

Annoncer l'Évangile

Ce faisant, l'Église œuvre par fidélité à l'Évangile, dans une tradition vivante. Elle a appris pas mal de choses des erreurs du passé - aussi par rapport à la politique. Dans son engagement, elle est tenue de rendre des comptes non pas aux scrutins, mais à l'Évangile, s'oriente non pas selon l'esprit du temps mais selon Jésus-Christ. Celui qui se recentre sur Jésus-Christ se pose réellement devant les défis du temps présent et rencontre l'homme concret. Qui vit en communion avec Dieu ne peut être indifférent à son prochain.

Remerciements

Au nom de la Conférence des évêques suisses, je vous exprime un cordial merci et je vous bénis tous  : vous tous qui, baptisés, êtes engagés en politique dans notre pays  ; vous qui participez selon votre science et conscience aux votations et aux élections  ; vous qui êtes actifs dans la recherche de bonnes solutions  ; vous tous qui portez dans la prière le présent et l'avenir de notre pays. Un grand merci. Puisqu'ainsi l'Église dans notre pays demeure naturellement politique – en première ligne et à différents niveaux.
Pour aller plus loin…


Le Compendium de la doctrine sociale de l'Église peut aider ceux et celles qui, engagés en politique, souhaitent disposer d'une vision précise et succincte de l'attitude de l'Église (1).
- Jean XXIII, Pacem in terris (1963).
- Constitution pastorale du concile Vatican II Gaudium et Spes – Sur l'Église dans le monde de ce temps (1965).
- Paul VI, Populorum progressio (1967)  : DC 1967, n. 1492, col. 674 et suiv.
- Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis (1987)  : DC 1988, n. 1957, p. 234 et suiv.
- Jean-Paul II, Centesimus annus (1991)  : DC 1991, n. 2029, p. 518 et suiv.
- Jean-Paul II, Evangelium vitae (1995)  : DC 1995, n. 2114, p. 351 et suiv.
- Benoît XVI, Caritas in veritate (2009)  : DC 2009, n. 2429, p. 753 et suiv.
- Conseil pontifical pour la Justice et la Paix, Compendium de la doctrine sociale de l'Église(2004).
(1) Tous ces textes sont consultables sur le site du Vatican  : www.vatican.va.

(*) Note de La DC.
(1) Le Jeûne fédéral vise à consolider les relations religieuses et sociales dans la confédération suisse. Cette fête religieuse annuelle édictée en 1832 par l'assemblée fédérale suisse remonte au Moyen Âge. Elle a lieu le troisième dimanche de septembre.

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Élections : un vote pour quelle société ?

Message du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France

En cette période pré-électorale, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France, a présenté, le 3 octobre, un message du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France pour inciter les catholiques à prendre part au vote et proposer des éléments de discernement sur différents thèmes.Texte de la Conférence des évêques de France (*)
Durant les prochains mois, notre attention sera largement sollicitée par la préparation des élections présidentielle et législatives.
Ces temps que nous traversons sont des temps de crise. Une crise globale touche tous les pays occidentaux depuis plusieurs dizaines d'années. Ce n'est pas une particularité française. Les effets de la crise financière mondiale qui s'est accélérée en septembre 2008 sont loin d'être épuisés. Ce déséquilibre s'est ajouté aux difficultés sociales et politiques qui sont les conséquences de la transformation profonde et rapide de nos sociétés et de toutes les structures qui organisent notre vie sociale.
De nombreux facteurs de transformation se conjuguent. Trois d'entre eux méritent, selon nous, de retenir l'attention de tous.
Tout d'abord, nous pensons au formidable développement des techniques scientifiques. Celui-ci ne cesse de se poursuivre. Il incite à projeter ou même à mettre à exécution des idées qui étaient restées jusque-là au stade des rêves ou des cauchemars. Ainsi le perfectionnement de la connaissance et de la compréhension du vivant suscitent des désirs que rien ne paraît pouvoir limiter. Il est donc urgent et indispensable que l'homme puisse mieux définir qui il est, et déterminer les conditions de son propre respect. Faute d'une appréhension précise de sa dignité, il se laisse inexorablement fasciner par son pouvoir scientifique, dont il est tenté d'attendre la solution à tous ses problèmes, en oubliant de voir ce qui risque de se retourner contre lui.
Un deuxième facteur de transformation est la fin d'une certaine homogénéité culturelle de nos sociétés. Bien avant que la réalité de la mondialisation soit appréhendée et commentée, nos pays d'Europe occidentale ont connu – et connaissent encore – des vagues d'immigration diverses. Ainsi coexistent aujourd'hui, à égalité de droits, des personnes ayant des origines ethniques et des références culturelles et religieuses les plus variées. Pour des citoyens de plus ou moins vieille souche, ceci peut engendrer un sentiment d'instabilité très délicat à vivre. Pour beaucoup de nouveaux arrivés, cela se traduit par le fait de se sentir mal accueillis et de ne pas pouvoir trouver une place dans une société qu'ils ne peuvent pourtant plus quitter.
Enfin, dans nos sociétés, chacun revendique toujours plus ses droits sans beaucoup s'inquiéter de ses devoirs. Dans ce domaine, nous assistons sans doute à un mouvement amorcé depuis longtemps. Les libertés individuelles ont contribué à augmenter le sens de la responsabilité personnelle. Mais l'individualisme finit par dissoudre la vie sociale, dès lors que chacun juge toute chose en fonction de son intérêt propre. Le bien commun de tous risque d'être confondu avec la somme des avantages particuliers.
Ces transformations interrogent la conception que l'on se fait de l'homme, de sa dignité et de sa vocation. Les gouvernants et les législateurs sont confrontés à des questions nouvelles. L'éclatement des références éthiques fait reposer un poids moral toujours plus lourd sur la formulation des lois. Puisqu'elles jouent inévitablement un rôle de référence morale dont il convient de tenir compte, le législateur ne peut se contenter d'enregistrer l'évolution des moeurs.
Dans ce contexte, notre devoir d'évêques est de rappeler la haute importance que l'Église, depuis ses origines, reconnaît à la fonction politique. Dans une démocratie représentative, le vote est la manière par laquelle chacun peut participer à l'exercice du pouvoir. Il est donc essentiel d'y prendre part, de la manière la plus sérieuse possible. Un vote ne peut être simplement dicté par l'habitude, par l'appartenance à une classe sociale ou par la poursuite d'intérêts particuliers. Il doit prendre en compte les défis qui se présentent et viser ce qui pourra rendre notre pays plus agréable à vivre et plus humain pour tous.

Privilégier l'être plus que l'avoir

Comme chrétiens, nous devons être confiants  : les crises qui traversent les sociétés humaines peuvent être des occasions de renouveau et des expériences qui réorientent l'avenir. Elles ne doivent pas nous empêcher de viser toujours et en toutes circonstances le respect de la dignité de toute personne humaine, l'attention particulière aux plus faibles, le développement des coopérations avec d'autres pays, et la recherche de la justice et de la paix pour tous les peuples.
Cependant, nous ne pouvons pas attendre du pouvoir politique plus qu'il ne peut donner. Élire un président de la République et choisir des représentants ne suffira pas à relever les défis qui se présentent à nous aujourd'hui. Les déséquilibres actuels, avec leurs dimensions sociales, culturelles et économiques, nous font mesurer l'apport considérable de la production industrielle et de la société de consommation, mais aussi leurs limites et leurs fragilités. Le mode de vie qui est le nôtre depuis quelques décennies ne pourra pas être celui de tous les pays du monde, ni même se maintenir perpétuellement tel quel chez nous.
Depuis longtemps, avec d'autres, les papes et les évêques appellent chacun à reconsidérer sa manière de vivre, à privilégier l'être plus que l'avoir, à chercher et promouvoir un « développement intégral » pour tous. Sous des termes variés, c'est la même invitation pressante à un changement de mode de vie. Chrétiens, à bien des égards, nous sommes mieux équipés que beaucoup d'autres pour choisir ce changement plutôt que de le subir seulement.
À cette lettre, nous joignons un document qui détaille quelques points qui nous semblent importants à prendre en compte en vue de ces élections. À chaque citoyen, à chacun de vous donc, il revient d'examiner comment les programmes et les projets des partis et des candidats traitent ces différents points, et de déterminer si ces approches sont cohérentes ou non avec la société dans laquelle nous voulons vivre. À chacun de vous il reviendra aussi de hiérarchiser ces différents points en vue du vote. D'autres, bien sûr, peuvent y être ajoutés.
Dans un temps d'hypermédiatisation, il convient d'être prudent devant la surenchère des informations qui seront diffusées, de ne pas se laisser entraîner par des calomnies ou des médisances, de rechercher avec précaution, autant que chacun en est capable, ce qui est vrai et ce qui est juste.
En vous adressant ce message en amont de l'ouverture de la campagne électorale, nous croyons répondre à l'attente de beaucoup. Prions pour que le désir du bien de tous domine dans nos choix et dans ceux de nos concitoyens.
Cardinal André VINGT-TROIS,
archevêque de Paris, président de la Conférence des évêques de France;
Mgr Hippolyte SIMON,
archevêque de Clermont, vice-président de la Conférence des évêques de France;
Mgr Laurent ULRICH,
archevêque de Lille, vice-président de la Conférence des évêques de France;
Mgr Jacques BLAQUART, évêque d'Orléans;
Mgr Jean-Claude BOULANGER, évêque de Bayeux et Lisieux;
Mgr Jean-Pierre GRALLET, archevêque de Strasbourg;
Mgr Hubert HERBRETEAU, évêque d'Agen;
Mgr Jean-Paul JAEGER, évêque d'Arras;
Mgr Jean-Paul JAMES, évêque de Nantes



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source: la documentation catholique N° 2476 (16 Oct 2011 )



Savoir adopter des décisions courageuses en politique

Déclaration de Mgr Dominique Mamberti

Lors de la 66e session de l'Assemblée générale des Nations unies, Mgr Dominique Mamberti, secrétaire pour les relations du Saint-Siège avec les États, est intervenu le 27 septembre, à New York (États-Unis). Le chef de la diplomatie vaticane a évoqué plusieurs questions comme le commerce des armes, le Printemps arabe, la crise économique, la sauvegarde de l'environnement... Au terme de sa longue déclaration, il a demandé des « décisions courageuses » aux membres de l'organisation en vue de la reconnaissance de la Palestine comme État membre des Nations unies.Texte français de la secrétairerie d'État du Saint-Siège (*)

Monsieur le Président,

Au nom du Saint-Siège, j'ai le plaisir de vous féliciter pour votre élection à la présidence de la LXVIe session de l'Assemblée générale de l'ONU (1), et de vous assurer de la pleine et sincère collaboration du Saint-Siège. Mes félicitations s'étendent aussi au Secrétaire général, S.E. Monsieur Ban Ki-moon, qui, au cours de cette session, le 1er janvier 2012, débutera son second mandat. Je voudrais également saluer cordialement la délégation du Sud-Soudan, devenu le 193e pays membre de l'Organisation en juillet dernier.

Monsieur le Président,

Comme chaque année, le débat général offre l'occasion de partager et d'affronter les principales questions qui préoccupent l'humanité en recherche d'un avenir meilleur pour tous. Les défis posés à la communauté internationale sont nombreux et difficiles. Ils mettent toujours plus en lumière la profonde interdépendance existant à l'intérieur de la « famille des nations », qui voit dans l'ONU un instrument important, malgré ses limites, dans l'identification et la mise en œuvre des solutions aux principaux problèmes internationaux. Dans ce contexte, sans vouloir être exhaustif, ma Délégation entend s'arrêter sur quelques défis prioritaires, afin que le concept de « famille des nations » (2) se concrétise toujours davantage.


Un premier défi d'ordre humanitaire


Le premier défi est d'ordre humanitaire. C'est celui qui interpelle la communauté internationale tout entière, ou mieux, la « famille des nations », à prendre soin de ses composantes les plus faibles. Dans certaines parties du monde, comme dans la Corne de l'Afrique, nous sommes malheureusement en présence d'urgences humanitaires graves et dramatiques qui provoquent l'exode de millions de personnes, en majorité des femmes et des enfants, avec un nombre élevé de victimes de la sécheresse, de la faim et de la malnutrition. Le Saint-Siège désire renouveler son appel, plusieurs fois exprimé par le Pape Benoît XVI (3) à la communauté internationale pour amplifier et soutenir les politiques humanitaires dans de telles zones et influer concrètement sur les différentes causes qui en accroissent la vulnérabilité.

Ces urgences humanitaires portent à souligner la nécessité de trouver des formes innovatrices pour mettre en œuvre le principe de la responsabilité de protéger, au fondement de laquelle se trouve la reconnaissance de l'unité de la famille humaine et l'attention pour la dignité innée de chaque homme et de chaque femme. Comme on le sait, un tel principe se réfère à la responsabilité de la communauté internationale d'intervenir dans des situations dans lesquelles les gouvernements ne peuvent pas à eux seuls ou ne veulent pas s'acquitter du devoir premier qui leur incombe de protéger leur population des violations graves des droits de l'homme, comme aussi des conséquences des crises humanitaires. Si les États ne sont pas en mesure de garantir une telle protection, la communauté internationale doit intervenir avec les moyens juridiques prévus par la Charte des Nations unies et par d'autres instruments internationaux.

Le risque que ledit principe puisse être invoqué dans certaines circonstances comme un motif commode pour l'usage de la force militaire, est toutefois à rappeler. Il est bon de redire que même l'usage de la force conforme aux règles des Nations unies doit être une solution limitée dans le temps, une mesure de véritable urgence qui est accompagnée et suivie par un engagement concret de pacification. Ce dont il y a besoin, par conséquent, pour répondre au défi de la « responsabilité de protéger », c'est d'une recherche plus profonde des moyens de prévenir et de gérer les conflits, en explorant toutes les voies diplomatiques possibles à travers la négociation et le dialogue constructif et en prêtant attention et encouragement même aux plus faibles signes de dialogue ou de désir de réconciliation de la part des parties impliquées. La responsabilité de protéger doit s'entendre non seulement en termes d'intervention militaire, qui devrait représenter le tout dernier recours, mais, avant tout, comme un impératif pour la communauté internationale d'être unie face aux crises et de créer des instances pour des négociations correctes et sincères, pour soutenir la force morale du droit, pour rechercher le bien commun et pour inciter les gouvernements, la société civile et l'opinion publique à trouver les causes et à offrir des solutions aux crises de toutes sortes, en agissant en étroite collaboration et solidarité avec les populations touchées et en ayant toujours à cœur, par-dessus tout, l'intégrité et la sécurité de tous les citoyens. Il est donc important que la responsabilité de protéger, entendue en ce sens, soit le critère et la motivation qui sous-tendent tout le travail des États et de l'Organisation des Nations unies pour restaurer la paix, la sécurité et les droits de l'homme. D'ailleurs, l'histoire longue et généralement réussie des opérations de maintien de la paix (peacekeeping) et les initiatives plus récentes de construction de la paix (peacebuilding) peuvent offrir des expériences valables pour concevoir des modèles de mise en œuvre de la responsabilité de protéger dans le plein respect du droit international et des intérêts légitimes de toutes les parties impliquées.


Un deuxième défi : le respect de la liberté religieuse


Monsieur le Président,

Le respect de la liberté religieuse est la voie fondamentale pour la construction de la paix, la reconnaissance de la dignité humaine et la sauvegarde des droits de l'homme (4). C'est le second défi sur lequel je voudrais m'arrêter. Les situations dans lesquelles le droit à la liberté religieuse est lésé ou nié aux croyants de différentes religions, sont malheureusement nombreuses ; on observe, hélas, une augmentation de l'intolérance pour motifs religieux, et malheureusement on constate que les chrétiens sont actuellement le groupe religieux qui subit le plus grand nombre de persécutions à cause de sa foi. Le manque de respect de la liberté religieuse représente une menace pour la sécurité et la paix et empêche la réalisation d'un authentique développement humain intégral. Le poids particulier d'une religion déterminée dans une nation ne devrait jamais impliquer que les citoyens appartenant à d'autres confessions soient discriminés dans la vie sociale ou, pire encore, que soit tolérée la violence contre ceux-ci. À ce propos, il est important qu'un engagement commun à reconnaître et à promouvoir la liberté religieuse de chaque personne et de chaque communauté soit favorisé par un dialogue interreligieux sincère, promu et mis en œuvre par les représentants des différentes confessions religieuses et appuyé par les gouvernements et par les instances internationales. Je renouvelle aux autorités et aux chefs religieux l'appel préoccupé du Saint-Siège afin que soient adoptées des mesures efficaces pour la protection des minorités religieuses, là où elles sont menacées, et afin que, partout, les croyants de toutes confessions puissent vivre en sécurité et continuer à apporter leur contribution à la société dont ils sont membres. Pensant à la situation dans certains pays, je voudrais redire, en particulier, que les chrétiens sont des citoyens au même titre que les autres, liés à leur patrie et fidèles à tous leurs devoirs nationaux. Il est normal qu'ils puissent jouir de tous les droits de citoyenneté, de la liberté de conscience et de culte, de la liberté dans le domaine de l'enseignement et de l'éducation et dans l'usage des moyens de communication.

D'autre part, il y a des pays où, bien qu'on accorde une grande importance au pluralisme et à la tolérance, paradoxalement, on tend à considérer la religion comme un facteur étranger à la société moderne ou voire même déstabilisant, en cherchant par divers moyens à la marginaliser et à en empêcher toute influence dans la vie sociale. Mais comment peut-on nier la contribution des grandes religions du monde au développement de la civilisation ? Comme l'a souligné le Pape Benoît XVI, la recherche sincère de Dieu a porté à un plus grand respect de la dignité de l'homme. Par exemple, les communautés chrétiennes, avec leurs patrimoines de valeurs et de principes, ont fortement contribué à la prise de conscience des personnes et des peuples par rapport à leur propre identité et dignité, ainsi qu'à la conquête des institutions de l'État de droit et à l'affirmation des droits de l'homme et de ses devoirs correspondants. Dans une telle perspective, il est important que les croyants, aujourd'hui comme hier, se sentent libres d'offrir leur contribution à la promotion d'un juste ordonnancement des réalités humaines non seulement par un engagement responsable au niveau civil, économique et politique, mais aussi par le témoignage de leur charité et de leur foi.


Troisième défi : l'économie a besoin d'éthique


Un troisième défi que le Saint-Siège voudrait porter à l'attention de cette assise concerne la prolongation de la crise économique et financière mondiale. Nous savons tous qu'un élément fondamental de la crise actuelle est le déficit d'éthique dans les structures économiques. L'éthique n'est pas un élément externe à l'économie, et l'économie est sans avenir si elle ne porte en soi l'élément moral : en d'autres termes, la dimension éthique est fondamentale pour affronter les problèmes économiques. L'économie ne fonctionne pas seulement par une autorégulation du marché et encore moins par des accords qui se limitent à concilier les intérêts des plus puissants ; elle a besoin d'une raison d'être éthique, afin de fonctionner pour l'homme. L'idée de produire des ressources et des biens, c'est-à-dire l'économie, et de les gérer d'une manière stratégique, c'est-à-dire politique, sans chercher par les mêmes actions à faire le bien, c'est-à-dire sans éthique, s'est révélée être une illusion ingénue ou cynique, toujours fatale. Par ailleurs, chaque décision économique a une conséquence morale. L'économie a donc besoin de l'éthique pour son fonctionnement correct ; non d'une éthique quelconque, mais bien d'une éthique centrée sur la personne et capable d'offrir des perspectives aux nouvelles générations. Les activités économiques et commerciales orientées vers le développement devraient être capables de diminuer effectivement la pauvreté et d'alléger les souffrances des plus démunis. Le Saint-Siège encourage dans ce sens le renforcement de l'Aide publique au développement, en conformité avec les engagements pris à Gleneagles (5). Et ma Délégation a l'espoir que les discussions sur ce thème, à l'occasion du prochain Dialogue de haut niveau sur le « Financement du développement », portent les résultats espérés. D'autre part, le Saint-Siège a souligné plusieurs fois l'importance d'une réflexion nouvelle et approfondie sur le sens de l'économie et de ses objectifs, ainsi qu'une révision clairvoyante de l'architecture financière et commerciale globale pour en corriger les dysfonctionnements et les distorsions. Cette révision des règles économiques internationales doit s'insérer dans le cadre de l'élaboration d'un nouveau modèle global de développement. En réalité, l'état de santé écologique de la planète l'exige ; et le requiert surtout la crise culturelle et morale de l'homme, dont les symptômes sont évidents partout dans le monde depuis longtemps.

Cette réflexion doit inspirer aussi les travaux de la Conférence de l'ONU sur le développement durable (Rio+20), du mois de juin prochain, dans la conviction que « l'être humain doit être au centre des préoccupations pour le développement durable », comme il est affirmé dans le premier principe de la Déclaration de Rio de 1992 sur l'environnement et le développement (6). Le sens de la responsabilité et la sauvegarde de l'environnement devraient être guidés par la conscience d'être une « famille des nations ». L'idée de « famille » évoque immédiatement quelque chose de plus que les relations simplement fonctionnelles ou les simples convergences d'intérêts. Une famille est par sa nature une communauté fondée sur l'interdépendance, sur la confiance mutuelle, sur l'entraide et le respect sincère. Son plein développement se base non sur la suprématie du plus fort, mais sur l'attention au plus faible et marginalisé, et sa responsabilité s'étend aux générations futures. Le respect pour l'environnement devrait nous rendre plus attentifs aux besoins des peuples plus défavorisés ; il devrait créer une stratégie pour un développement centré sur les personnes, favorisant la solidarité et la responsabilité à l'égard de tous, y compris les générations à venir.

Cette stratégie ne peut que bénéficier de la Conférence de l'ONU sur le Traité sur le commerce des armes (TCA), prévue en 2012. Un commerce des armes qui n'est pas réglementé ni transparent, a d'importantes répercussions négatives. Il freine le développement humain intégral, augmente les risques de conflits, surtout internes, et d'instabilité, et promeut une culture de violence et d'impunité, souvent liée aux activités criminelles, dont le trafic de drogue, la traite des êtres humains et la piraterie, qui constituent toujours plus de graves problèmes internationaux. Les résultats de l'actuel processus TCA seront un test de la volonté réelle des États d'assumer leur responsabilité morale et juridique dans ce domaine. La communauté internationale doit se préoccuper de parvenir à un Traité pour le Commerce des Armes qui soit effectif et applicable, consciente du grand nombre de ceux qui sont affectés par le commerce illégal des armes et des munitions et de leurs souffrances. En effet, le but principal du Traité devrait être non seulement celui de réguler le commerce des armes conventionnelles ou de faire obstacle au marché noir, mais aussi et surtout celui de protéger la vie humaine et de construire un monde plus respectueux de la dignité humaine.


Quatrième défi : respecter le droit des Israéliens… et des Palestiniens


Monsieur le Président,

De fait, c'est sa contribution à la construction d'un monde plus respectueux de la dignité humaine qui démontrera la capacité effective de l'ONU à remplir sa mission, qui a pour but d'aider la « famille des nations » à poursuivre des objectifs communs de paix, de sécurité et d'un développement humain intégral pour tous.

La pensée du Saint-Siège va aussi vers les événements qui se déroulent dans certains pays de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Je voudrais renouveler ici l'appel du Saint-Père Benoît XVI afin que tous les citoyens, en particulier les jeunes, mettent tout en œuvre pour promouvoir le bien commun et pour construire des sociétés où la pauvreté soit vaincue et où tout choix politique soit inspiré par le respect pour la personne humaine ; des sociétés dans lesquelles la paix et la concorde triompheront sur la division, la haine et la violence.

Une dernière observation concerne la demande de reconnaissance de la Palestine comme État membre des Nations unies, présentée ici-même le 23 septembre par le Président de l'Autorité nationale palestinienne, Monsieur Mahmoud Abbas. Le Saint-Siège considère cette initiative dans la perspective des tentatives de trouver une solution définitive, avec l'appui de la communauté internationale, à la question déjà affrontée par la Résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations unies, en date du 29 novembre 1947. Ce document fondamental pose la base juridique pour l'existence de deux États. L'un d'entre eux a déjà vu le jour, alors que l'autre n'a pas encore été constitué, bien que près de soixante-quatre ans se soient passés. Le Saint-Siège est convaincu que, si on veut la paix, il faut savoir adopter des décisions courageuses. Il souhaite que les organes compétents des Nations unies prennent une détermination qui aide à mettre en œuvre effectivement l'objectif final, c'est-à-dire la réalisation du droit des Palestiniens à avoir leur propre État indépendant et souverain et du droit des Israéliens à la sécurité, les deux États étant munis de frontières reconnues internationalement. La réponse des Nations unies, quoi qu'il en soit, ne constituera pas une solution complète et l'on ne pourra atteindre la paix durable que par des négociations de bonne foi entre Israéliens et Palestiniens, évitant actions ou conditions qui contredisent les déclarations de bonne volonté. Le Saint-Siège, par conséquent, exhorte les parties à reprendre les négociations avec détermination et adresse un pressant appel à la communauté internationale afin qu'elle accroisse son engagement et stimule sa créativité et ses initiatives, pour qu'on arrive à une paix durable, dans le respect des droits des Israéliens et des Palestiniens.

Merci, Monsieur le Président !



(*) Titre, sous-titres et notes de La DC.

(1) M. Nassir Abdulaziz Al-Nasser a été élu président de la 66e session de l'Assemblée générale des Nations unies le 22 juin 2011.

(2) DC 1995, n. 2125, p. 922.

(3) Voir notamment le discours de Benoît XVI au Corps diplomatique : DC 2011, n. 2462, p. 168-172.

(4) Cf. DC 1979, n. 1772, p. 878 ; DC 2005, n. 2329, p. 118-123 ; et DC 2011, n. 2459, p. 2-9.

(5) DC 2005, n. 2340, p. 724-726.

(6) DC 1992, n. 2055, p. 728-729.



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