mercredi 19 novembre 2014

Quelques approches sur " l'Abrogation de la Loi Taubira" ...


Par Jean-René Binet

Par Guillaume de Prémare

Par Gregor puppinck

Par Pierre olivier Arduin

Par Didier Maus








Source: Le Figaro

Jean-René Binet est professeur de droit civil à l'université Rennes 1. Il est co-auteur du manuel Droit des personnes et de la famille aux éditions Lextenso.

FigaroVox: Selon vous, il serait tout à fait possible juridiquement d'abroger la loi Taubira. Concrètement, quel serait le mode d'emploi?


Si on aborde la question sous un angle purement juridique la réponse est très claire. Il est possible d'abroger la loi car ce que le législateur fait, il peut le défaire. Techniquement, les parlementaires peuvent procéder de deux manières. D'abord par une abrogation express: le législateur affirme que la loi du 17 mai 2013 est abrogée ou que certains articles introduits par cette loi sont abrogés. Cela peut également se faire par une abrogation tacite. Le législateur prend des dispositions qui viennent remplacer les dispositions existantes et qui emportent nécessairement l'abrogation des dispositions anciennes.


Le divorce par exemple a été introduit en France en 1792 avant d'être supprimé par une loi du 8 mai 1816 à partir de laquelle les citoyens ne pouvaient plus divorcés. En 1884, une autre loi est venue restaurer le divorce.

Que répondez-vous à ceux qui objectent qu'à partir du moment où une liberté fondamentale a été ouverte à une catégorie de citoyens, on ne peut pas revenir en arrière?

Si ce n'est qu'une liberté, c'est faux, le législateur est déjà revenu sur une loi qui peut être perçue comme une liberté fondamentale. Le divorce par exemple a été introduit en France en 1792 avant d'être supprimé par une loi du 8 mai 1816 à partir de laquelle les citoyens ne pouvaient plus divorcer. En 1884, une autre loi est venue restaurer le divorce. Il a donc été possible au législateur de changer d'avis.

Certes, mais en 1816, le Conseil constitutionnel n'existait pas …

Oui, mais pour qu'il y ait un obstacle, il faut que la liberté soit fondamentale. Il faut rappeler que le Conseil constitutionnel avait été saisi de la loi du 17 mai 2013 par des députés et des sénateurs qui prétendaient que le législateur avait violé la constitution parce qu'en ouvrant le mariage à deux personnes de même sexe, il contrevenait à un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Le Conseil constitutionnel avait répondu que la question du mariage pour tous relevait bien du pouvoir du législateur et que son ouverture aux couples de même sexe ne s'opposait en rien aux principes constitutionnels. Par conséquent, ce que le Conseil constitutionnel a dit pour permettre le mariage de deux hommes ou de deux femmes, il le redira très vraisemblablement si le législateur va dans l'autre sens.


Les discriminations dans le temps n'existent pas : elles se font uniquement par rapport à un état de droit entre deux situations identiques traitées différemment.

Qu'en est-il de la Cour européenne des droits de l'homme?

La CEDH dans une décision du 16 juillet 2014 a affirmé de nouveau que les Etats signataires de la Convention européenne des droits de l'homme n'avaient pas d'obligation d'ouvrir le mariage aux couples homosexuels. On ne voit pas pourquoi elle changerait de position à si brève échéance.

Puisqu'on ne pourra pas désunir les couples déjà mariés, ne va-t-on on pas créer une «discrimination légale» entre citoyens homosexuels qui n'auront pas le même traitement juridique?

D'après l'article 2 du code civil, la loi s'applique uniquement pour l'avenir. On aura donc deux situations dont l'une sera régie par des dispositions antérieures et l'autre par des dispositions nouvelles. Mais il s'agit d'un cas de figure très fréquent, en droit du travail notamment, et je n'ai jamais entendu dire que ce soit une discrimination. Les discriminations dans le temps n'existent pas: elles se font uniquement par rapport à un état de droit à un moment donné entre deux situations identiques traitées différemment. Le législateur n'a pas d'obligation de maintenir ad vitam aeternam un régime antérieur.

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"Mariage homme-femme : persévérance !"


dans un billet de blog intitulé « L’apaisement est la meilleure des méthodes », Koztoujours, soutien fidèle de la Manif pour tous, s’interroge sur l’opportunité d’accepter le mariage entre personnes de même sexe tout en continuant à refuser l’adoption. Cela reviendrait à renoncer à affirmer que « le mariage, comme principe et comme institution, est l’union d’un homme et d’une femme » 1. Koztoujours ne se montre pas, dans cette affaire, favorable par principe au mariage entre personnes de même sexe, mais expose l’idée que nous pourrions l’accepter dans un but d’apaisement. Selon lui, ne rien lâcher sur le mariage conduirait à une forme d’intransigeance qui accentuerait les fractures et blessures dans le pays.


La question posée par Koztoujours offre l’opportunité de réfléchir à la substance de notre engagement contre la loi Taubira et au sens de ce « On ne lâche rien » qui symbolise la ligne politique de la Manif pour tous, maintenue sans changements depuis le vote de la loi. Ce débat remet la question du mariage au centre de notre réflexion, alors même qu’elle avait tendance à disparaître au profit de la question des droits de l’enfant. Si nous remontons aux origines de la Manif pour tous, celle-ci ne s’est pas levée uniquement pour défendre les droits de l’enfant, mais aussi le mariage civil homme-femme et la famille. Sur le tract d’appel à manifester du 17 novembre 2012, nous pouvions lire : « Pour le mariage civil H/F » (homme-femme) ;« Pour la famille PME » (père-mère-enfant).
Une question anthropologique et sociale

Défendre le mariage homme-femme et la famille père-mère-enfant est d’abord une affaire d’anthropologie : l’humanité n’est pas constituée sur la différence homosexuels-hétérosexuels mais sur la différence homme-femme. C’est le repère anthropologique le plus élémentaire. C’est ensuite une affaire de bien social. L’humanité est un espace de relation et la structure sociale se construit à partir des communautés naturelles, à commencer par la famille. La juste expression du bien commun nécessite une anthropologie juste.
Ici la question n’est pas d’abord celle du bien et du mal, mais celle du « mieux », précisément en vue du bien commun. Le mariage homme-femme considéré dans toutes ses composantes – notamment union, procréation, filiation, éducation – constitue le « mieux ». C’est le meilleur cadre d’expression de la communauté naturelle qu’est la famille. L’expérience humaine valide cette donnée : le délitement du mariage entraîne le délitement de la famille. Il est donc juste que la société valorise et favorise le mariage homme-femme dans toutes ses composantes. L’expérience humaine du mariage montre par ailleurs sa valeur au-delà de l’institution comme expression optimale du don : le don est la loi naturelle d’amour et s’épanouit dans l’altérité sexuée. Cette valeur du mariage comme cadre élémentaire du bien commun et comme expression de l’amour humain est fragilisée depuis longtemps, bien avant la loi Taubira. Ajouter à la dissociation du lien entre filiation et mariage (naissances hors mariage) la dissociation du lien entre mariage et filiation 2 (mariages hors naissances) affaiblit encore davantage le mariage – et donc le bien commun – parce qu’elle l’ampute de l’une de ses propriétés essentielles (une de plus…).
Persévérer n’est pas fracturer
Cependant, Koz ne conteste pas fondamentalement ces considérations mais s’interroge sur l’opportunité politique – sous l’angle de l’apaisement – de persévérer dans la défense du mariage homme-femme. Bien évidemment, la politique est par nécessité un espace de transaction : jamais la loi civile ne pourra exprimer la perfection de la loi naturelle ni de la loi morale. La politique n’est pas hors du réel. Prévenir les fractures dans la société constitue en effet un devoir. Mais de quelle fracture parlons-nous ? Si la loi Taubira, dans son principe et dans la manière dont elle s’est imposée, constitue une forme de violence symbolique et sociale faite à la société, l’opposition à la loi Taubira n’est pas une source de fracturation du pays. La tension qui tourne autour de la loi Taubira concerne, d’une part un micromilieu militant, d’autre part l’espace politique et médiatique, devenu quasi-exclusivement un lieu de rapport de force et non un espace de recherche commune de la vérité entre personnes de bonne volonté. Mais le peuple profond ne se déchire pas sur la loi Taubira. La tension n’est pas au sein du peuple mais dans l’espace politique et médiatique. La différence est fondamentale : persévérer n’est pas fracturer le pays mais porter le fer là où il est indispensable de le porter. Notre persévérance n’est pas une intransigeance. Il ne s’agit pas de savoir s’il convient d’être intransigeant par principe (comme si rien ne se négociait dans l’espace politique), mais s’il y a une justification majeure à la transaction. A mon avis, ce n’est pas le cas : les fracturations les plus graves du pays sont extérieures à la loi Taubira, elles sont notamment en germe dans la nouvelle question sociale induite par la révolution de la mondialisation 3.
Maintenir la ligne politique originelle

La Manif pour tous a pour vocation de persévérer dans sa ligne politique originelle qui gagne, peu à peu, des positions dans l’espace politique, au cœur de tensions qui manifestent un dur combat. Il faut vivre avec ses tensions que nous n’avons pas choisies. Fondamentalement, la vertu de persévérance de LMPT est une nécessité pour la société elle-même. Persévérer dans la promotion des repères essentiels anthropologiques et sociaux est un devoir politique et social. Notre société en manque de repères attend cela, elle attend d’être éveillée à l’importance des repères essentiels, demande à retrouver la valeur positive de normes structurantes. Ce besoin de normes structurantes s’exprime très clairement dans la sociologie des profondeurs de notre pays. Déstabilisée par la perte des repères élémentaires, notamment familiaux et éducatifs, angoissée par le délitement de l’autorité des institutions traditionnelles, rudoyée par la mondialisation, la France est en quête de sens. Persévérer dans cette offre de sens constitue un service du bien commun. A cet égard, notre force principale est notre anthropologie, ne l’abandonnons pas en rase campagne.

Guillaume de Prémare

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1) La formule est de Lionel Jospin. []

2) On peut mettre le mot « adoption » à la place du mot « filiation », cela revient fondamentalement au même. []

3)Lire Christophe Guilluy – La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires – Flammarion, sept. 2014 []

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source : (Gregor Puppinck valeurs actuelles)

"En droit européen : l’abrogation de la loi Taubira est elle possible ?"

Clairement oui : la France peut abroger la loi Taubira. Cela ne pose pas de difficultés théoriques ; c’est essentiellement une question de volonté politique de la part du Gouvernement français. S’il le souhaite, il le peut. Il aura des soutiens d’autres pays européens, et fera naturellement face à l’ l’opposition d’un certain nombre de gouvernements, mais la France pourrait y parvenir et même rassembler autour d’elle d’autres gouvernements européens qui lui seraient très favorables.Il y aurait ainsi un changement dans les rapports de force géopolitiques au sein de l’Europe entre les différentes tendances qui s’expriment. Ce qu’il faut bien avoir à l’esprit du point de vue européen, c’est qu’aujourd’hui la question du mariage homosexuel est débattue. L’Europe est de plus en plus divisée. On voit d’un côté une tendance lourde, dans l’Europe de l’Ouest à légaliser le mariage homosexuel, mais de l’autre, une tendance plus forte encore qui s’oppose au mariage homosexuel. Il y a à ce jour 14 États membres du Conseil de l’Europe qui ont inscrit dans leur Constitution que le mariage est l’union entre un homme et une femme. Ils ont fait cela pour beaucoup d’entre eux, afin d’empêcher l’imposition du mariage homosexuel par les institutions internationales ; de façon préventive. Parmi les derniers en date, il y a eu la Croatie et la Slovaquie cette année. En 2011 c’était la Hongrie et actuellement la Macédoine en débat.

Si la France d’une certaine manière bascule, « revient en arrière », ce serait un changement très important dans les rapports de force autour de cette question du mariage entre personnes de même sexe.

Le fait que le Conseil de l’Europe soit aujourd’hui divisé sur cette question signifie que les États ont encore une grande marge de liberté, mais que chaque action, chaque décision s’inscrit dans ce rapport de force et a une influence importante sur les débats.D’un point de vue plus juridique, il me semble que l’évolution des positions dominantes tend vers un statut quo, vers un terrain d’entente, qui consisterait d’une part pour les institutions européennes à renoncer d’imposer la légalisation du mariage entre personnes de même sexe au nom des droits de l’homme (parce qu’il apparaît bien au vue des référendums et des modifications constitutionnelles que c’est impossible), mais d’autre part, ces institutions ou les gouvernements semblent s’accorder pour généraliser le modèle des contrats d’unions civiles.Cela veut dire que d’un côté on renoncerait au mariage homosexuel pour toute l’Europe mais on obligerait les États à adopter des contrats d’union civile qui viseraient à donner des droits pratiques et concrets pour que les couples de même sexe puissent organiser leur vie, dans la légalité avec une certaine reconnaissance sociale. Cette tendance est maintenant confirmée dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui en juillet dernier, dans une importante affaire (Hämäläinen contre la Finlande) a affirmé très clairement que la Convention européenne des droits de l’homme ne contient pas de droit au mariage pour les couples de même sexe. La Cour a tranché le débat : il n’y a pas de droit au mariage pour les personnes de même sexe au titre de la Convention.Mais en même temps, elle a développé une autre jurisprudence selon laquelle il y aurait une forme de droit à la reconnaissance sociale de la relation qu’entretiennent des personnes de même sexe. L’idée que les couples de même sexe auraient « des droits à des droits », « des droits à un statut ouvrant des droits », permettant à ces personnes d’organiser leur vie ensemble.Cette approche est confirmée dans deux documents récents. Un document du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, qui regroupe les 47 Gouvernements du Conseil de l’Europe, qui, s’agissant de la Croatie a accepté que celle-ci constitutionalise le mariage hétérosexuel, tout en notant l’intention du Gouvernement de l’époque d’ouvrir le contrat d’union civile (décision du 12 mars 2014)

De même s’agissant de la Hongrie, la Commission de Venise a adopté la même approche, en estimant qu’on pouvait avoir cette interdiction du mariage pour les personnes de même sexe d’un côté dans la Constitution tout en ayant à côté un contrat d’union civile (avis n° 621 de juin 2011).

Voilà la situation. Si un prochain gouvernement devait revenir sur la loi Taubira, il y aurait toujours cette possibilité pour la France de proposer un contrat d’union civile : le Pacs.Finalement, une évolution de la loi Taubira dans ce sens, une abrogation, une modification, ou un remplacement de la loi Taubira resituerait la France sur le terrain médian ; la solution la plus consensuelle en Europe, qui serait un terrain solide et assez aisé à défendre. D’autant plus que le droit européen et la Cour européenne reconnaissent que les droits et obligations liés au mariage peuvent être parfaitement différents de ceux liés aux contrats d’union civile. Notamment en matière de filiation et c’est là le plus important. Cela veut dire que la Cour n’exigera pas qu’un contrat d’union civile englobe également les mêmes droits en matière de filiation que le mariage. Précisément parce que le droit au mariage garanti par la Convention européenne des droits de l’homme est un droit garanti en vue de la fondation d’une famille. Et la Cour reconnaît l’intérêt des États à vouloir préserver le mariage et la famille.Il est donc possible pour la France de se situer sur ce terrain d’entente, ce terrain médian et elle aurait alors le soutien d’un grand nombre d’États et pourrait contribuer à l’affirmation d’une solution consensuelle pour les États européens.

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Abrogation de la loi Taubira, de quoi parles t ils ?










(source: Marianne)

Pour Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public, la teneur du débat sur l’abrogation de la loi Taubira révèle l’incapacité de nos responsables politiques “à penser” et leur fâcheuse tendance à nous servir de “la bouillie conceptuelle”. Néanmoins, elle estime qu’il est “évidemment juridiquement et démocratiquement possible d’abroger totalement ou partiellement la loi Taubira” et nous explique pourquoi, selon elle, “les arguments invoqués par les adversaires de l’abrogation ne tiennent pas debout”.

La question de l’abrogation de la loi Taubira donne lieu à des déclarations politiques confuses et délibérément obscures ainsi qu’à des commentaires médiatiques juridiquement erronés. Essayons donc de « déconstruire » pédagogiquement les choses. Tout d’abord, lorsque l’on parle de la « loi Taubira », de quoi s’agit-il exactement ? Ce texte opère, en effet, deux réformes qu’il présente comme absolument liées alors qu’elles ne le sont pas forcément et qu’il eût été possible d’envisager l’une sans l’autre.

Ce que dit exactement la loi Taubira

Le premier effet de la loi du 17 mai 2013 est de changer la définition du mariage. Celui-ci a toujours désigné l’institutionnalisation d’un fait (l’union sexuelle d’un homme et d’une femme), qu’il s’est agi de protéger et encadrer en raison du caractère procréatif de cette relation qui en fait la source de la famille et donc des générations futures. La loi Taubira s’est donc écartée de cette vérité naturelle pour donner du mariage une nouvelle définition, coupée de la réalité anatomique et biologique, et de surcroît logiquement absurde puisqu’elle aboutit à définir une notion par une proposition contradictoire. Le mariage serait désormais l’union de deux personnes de sexe opposé « ou » de même sexe, c’est-à-dire qu’il désignerait à la fois une chose et son contraire absolu. Mais la loi de 2013 porte donc sur la définition du mariage, elle ne concerne ni la liberté, ni l’égalité qui ne sont pas en cause dans ce texte comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel lui-même. Le principe d’égalité ne s’applique pas à des situations différentes et la liberté du mariage ne vise que la possibilité de se marier (ou de refuser de le faire) dans le cadre d’une définition existante que le législateur peut choisir à sa guise.

Le second effet de la loi Taubira est de permettre à des partenaires homosexuels mariés d’adopter des enfants et donc de doter ceux-ci de « parents de même sexe ». L’exposé des motifs de la loi présentait l’adoption comme une « conséquence » du mariage, ce qui n’est logiquement pas vrai. Dès lors, en effet, que le législateur prétend s’affranchir du fait naturel, de la réalité physique et de tout impératif catégorique pour s’adonner au positivisme pur et « écrire ce qu’il veut », il peut parfaitement décider aussi que, bien que pouvant désormais se marier, deux hommes et deux femmes ne pourront toujours pas engendrer de telle sorte que l’adoption ne saurait leur être ouverte. Cette limitation tendrait à sauvegarder le droit de l’enfant, consacré par la convention de l’ONU, de connaître « dans la mesure du possible » ses géniteurs et d’être élevés par eux. Un législateur positif tout puissant peut décider tout ce qu’il veut : s’il peut donc décider d’ignorer la nature pour la définition du mariage, il peut cependant choisir de conserver la vraisemblance biologique pour la filiation en refusant de doter un enfant d’un état civil improbable et d’une généalogie amputée. Le fait de changer la définition du mariage en permettant à deux hommes ou deux femmes de « s’épouser » n’implique donc absolument pas d’étendre la même fiction à la filiation. C’est d’ailleurs, semble-t-il, ce que comprenaient instinctivement beaucoup de Français, si l’on en croit les sondages indiquant que les personnes sondées étaient plutôt favorables au mariage gay mais hostile à l’adoption. C’est aussi le choix qu’a effectué le législateur portugais.

Ce qu’a peut-être voulu dire Nicolas Sarkozy

Lorsque l’on demande simplement à des hommes politiques s’ils veulent « abroger la loi Taubira », on leur permet donc de se sortir habilement de l’embarras en racontant des inepties insignifiantes du genre : « Je ne veux pas abroger, je veux ré-écrire » (et même « de fond en comble » !)… Ou encore : « Je veux créer deux mariages pour tenir compte des différences »… Ce que personne ne comprend évidemment. On suppose que ce que Nicolas Sarkozy a voulu proposer, avec l’inélégance verbale qui le caractérise, c’est une solution consistant à conserver la définition du mariage visant deux personnes de sexe opposé « ou » de même sexe, mais excluant en revanche la faculté d’adoption pour ces dernières. Il y aurait donc un mariage hétérosexuel avec adoption possible et un mariage homosexuel sans adoption, ce qui ne serait pas du tout illogique puisque c’est bien l’engendrement et donc la filiation qui sont impossibles pour deux hommes ou deux femmes. On sait bien, en outre, que les enfants « adoptables » par deux hommes ou deux femmes mariés ne peuvent être, sauf quelques rares cas, que des enfants fabriqués à l’étranger en fraude à la loi française, ce qui ne manque pas de poser le problème de la légalisation « par voie de conséquence » de la PMA et de la GPA. C’est donc le second volet de la loi Taubira, c’est-à-dire l’adoption et non le mariage en lui-même, qui se trouve au cœur des questions bioéthiques de la PMA et de la GPA.

Lorsque l’on parle d’abroger la loi Taubira, il convient d’abord de comprendre une fois pour toutes que l’abrogation n’est pas le retrait, c’est-à-dire qu’elle ne porte que sur l’avenir et n’a point d’effet rétroactif. Il convient ensuite de savoir s’il s’agit d’abroger à la fois le mariage et l’adoption par deux personnes de même sexe ou seulement l’adoption, auquel cas il ne s’agirait que d’une abrogation partielle.

Ce que disent, à tort, les adversaires de l’abrogation

Les arguments invoqués par les adversaires de l’abrogation ne tiennent pas debout juridiquement. L’atteinte à l’égalité qui résulterait, selon eux, de l’existence de deux types de « couples » homosexuels (ceux qui ont pu se marier et/ou adopter et ceux qui ne le pourront plus) est une parfaite absurdité. Si l’on devait raisonner de la sorte plus aucune réforme ne serait possible dans aucun domaine. Le législateur ne pourrait plus supprimer ou réduire une allocation sociale ou une exonération fiscale et un conseil municipal ne pourrait plus modifier son plan d’urbanisme pour rendre des parcelles inconstructibles au motif que cela créerait une inégalité entre les propriétaires qui ont pu construire dans une zone avant la révision et ceux qui ne le pourront plus après !

Le Conseil constitutionnel, malgré l’article 75 de la Constitution consacrant les statuts civils personnels, n’a rien trouvé à redire à l’abrogation de la polygamie à Mayotte, bien qu’elle supprime à l’avenir la « liberté » des jeunes hommes d’avoir plus d’une épouse alors que leurs aînés en conserveront plusieurs. Le fameux « effet cliquet » que certains invoquent en citant abondamment le défunt Guy Carcassonne, n’a jamais joué que pour des libertés constitutionnellement consacrées, ce qui n’est pas du tout le cas du mariage gay que le Conseil constitutionnel s’est toujours refusé à présenter comme une exigence constitutionnelle, tant du point de vue de l’égalité que de la liberté. Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, elle n’a, à notre connaissance, jamais condamné un État pour une réforme au seul motif qu’une abrogation a forcément pour effet d’instaurer une différence de traitement entre la situation « avant » et la situation « après ».

Ce que pourront en dire nos imprévisibles juges

Il est vrai, cependant, que nos juges constitutionnels et européens sont devenus totalement imprévisibles. L’on a vu récemment le Conseil constitutionnel se contredire manifestement d’une décision à une autre, tandis que la Cour de Strasbourg nous habitue depuis toujours à des raisonnements fantaisistes et tirés par les cheveux, parfois comiques. Le pouvoir d’interprétation et de revirement de ces instances est devenu tel que la « confiance légitime » dans leur jurisprudence s’affaiblit à mesure de leur versatilité.

On ne peut donc jamais exclure totalement un éventuel « coup tordu » du juge constitutionnel ou européen, mais prétendre qu’une réforme serait contraire au principe d’égalité parce qu’elle créerait une différence entre ceux qui ont bénéficié du régime antérieur et ceux qui sont soumis au nouveau régime est proprement aberrant. L’affirmation est d’autant plus étrange lorsqu’elle sort de la bouche des adeptes du « bougisme » sociétal et des pourfendeurs de l’immobilisme normatif ! Voilà soudain nos progressistes évolutionnistes transformés en militants de la fossilisation. Silex and the city !

Il est évidemment juridiquement et démocratiquement possible d’abroger totalement ou partiellement la loi Taubira. Il reste à déterminer si l’on souhaite abroger seulement l’adoption par des personnes de même sexe ou si l’on veut aussi revenir à la définition originelle du mariage lui-même. Si « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », il serait temps que nos responsables politiques apprennent à penser au lieu de nous servir de la bouillie conceptuelle


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Source: Atlantico

Atlantico : Concrètement, comment le législateur abroge-t-il une loi ?

Didier Maus : Selon le Dictionnaire de l’Académie française abroger une loi, c’est « annuler explicitement ou implicitement un texte législatif par un texte nouveau ». Le Dictionnaire ajoute : « Une loi ne peut être abrogée que par une autre loi ». Cette définition et cet exemple fournissent la réponse aux questions liées à la prise de position de Nicolas Sarkozy. Pour modifier ou abroger une loi, en l’espèce la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, il faut que le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) adopte une nouvelle loi dont le contenu viendra remplacer la loi de 2013.

Au-delà de l’aspect politique du mot « abrogation », très fort chez les adversaires de la loi Taubira, l’abrogation est une pratique régulière du législateur. Quasiment toute nouvelle législation, qu’elle soit civile, pénale, sociale ou autre, conduit d’une part à établir de nouvelles règles juridiques et d’autre part à supprimer les dispositions antérieures contraires. Techniquement il s’agit d’une opération classique, même si elle doit être entourée de multiples précautions pour éviter à la fois la création d’un vide juridique et des contradictions. Le législateur peut utiliser soit « abrogation » soit « suppression », la première expression ayant une portée plus symbolique. La pratique actuelle tend plus à utiliser « suppression » qu’« abrogation ». Le Guide pour l’élaboration des textes législatifs et règlementaires, la véritable charte de l’écriture des projets de loi, utilise de manière quasiment identique « abrogation » et « suppression ». Il précise avec force qu’il convient toujours de prévoir les conséquences de l’abrogation, par exemple avec l’adoption de mesures transitoires.
Comment se passe concrètement les choses pour les gens qui bénéficiaient jusqu’à présent de la loi abrogée ?

Il est un principe traditionnel du droit selon lequel « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif » (article 2 du Code civil). Cette règle est essentielle pour garantir la sécurité juridique de la vie en société. Elle a pour conséquence que les personnes qui ont bénéficié des dispositions d’une loi en conservent les effets, sauf à ce que le nouveau régime soit plus favorable ou qu’une option soit éventuellement ouverte.

En ce qui concerne la loi Taubira, il est évident – et humainement heureux – qu’en cas de modification, voire de suppression de certaines dispositions, les personnes qui auront été mariés le demeureront et que les enfants qui auront été adoptés le demeureront également. Il serait contraire à la Constitution de prévoir des « démariages » ou des « désadoptions ». Les intéressés conserveront le bénéfice de la loi Taubira jusqu’à la fin de leur vie, sauf à ce que la loi nouvelle offre, par exemple en matière d’adoption, de possibilités plus favorables ou au moins équivalentes.
Quels sont les principaux exemples d’abrogation de lois dans l’histoire judiciaire contemporaine ?

Il est difficile de répondre à cette question. La pratique législative contemporaine consiste, en général, à modifier les dispositions antérieures, ce qui peut conduire à les compléter ou à les supprimer. Même si elle ne contient pas le mot « abrogation » la loi Simone Veil du 17 janvier 1975 a de fait abrogé les dispositions du code pénal interdisant l’avortement. La loi du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort a explicitement abrogé les articles du code pénal relatifs à la peine de mort. Dans un autre domaine la loi, la loi du 2 juillet 1986 autorisant les privatisations d’entreprises du secteur public a implicitement abrogé l’essentiel de la loi de nationalisation du 11 février 1982.
La question du recours au référendum pose débat chez les juristes. Est-il possible d’abroger une loi par référendum ? Si les citoyens ne peuvent pas demander un référendum pour abroger une loi, pourquoi le président de la République dispose pour sa part des moyens de convoquer un référendum pour y parvenir ?

Il n’y aucun obstacle de principe à ce qu’une loi votée par le Parlement soit modifiée ou abrogée par référendum. La seule condition est que son objet entre dans le champ d’application de l’article 11 de la Constitution. Il faut donc qu’elle soit relative à la politique économique ou sociale de la nation, aux services publics concernés ou à l’organisation des pouvoirs publics. Il existe un accord quasi général pour considérer que la loi Taubira n’entre pas dans le cadre de ces définitions, même si certains estiment qu’elle pourrait être considérée comme un élément de la politique sociale.

Comme j’ai indiqué en 2013 que l’adoption de la loi Taubira ne pouvait pas être soumise à un référendum, j’estime que sa modification ne peut pas l’être non plus.
Abrogation d’une loi, mode d’emploi : y a-t-il des cas où il est vraiment impossible de le faire ?

Nicolas Sarkozy s’est prononcé samedi en faveur de l’abrogation de la loi Taubira et du vote d’une nouvelle loi instaurant deux régimes de mariage, un pour les homosexuels et un pour les hétérosexuels. Comme il n’existe pas de garanties constitutionnelles spécifiques, le Parlement a donc le droit de réécrire la loi Taubira, soit pour la compléter, soit pour la modifier, soit pour en abroger l’essentiel.

Au-delà de l’aspect technique, la loi Taubira sur le mariage pour tous comporte bien évidemment une dimension humaine importante. Cet aspect peut-il être pris en compte par les législateurs ?

Il est évident que le Parlement, s’il est saisi d’une modification, voire d’une suppression de la loi Taubira, devra tenir compte, comme il le fait d’ordinaire, de tous les aspects de la matière et donc des conséquences humaines des nouvelles dispositions envisagées.

C’est l’occasion de réaffirmer l’impossibilité de supprimer les décisions prises dans le cadre de la loi Taubira, qu’il s’agisse des mariages ou des adoptions.
Certains juristes évoquent la jurisprudence du Conseil constitutionnel dite « Cliquet » de 1984, estimant qu’à partir du moment où une liberté fondamentale a été ouverte à une catégorie de citoyens, il ne serait plus possible de revenir en arrière. Existe-t-il certaines exceptions rendant impossible l’abrogation de loi ?

La jurisprudence du Conseil constitutionnel dite « effet cliquet » interdit que dans le domaine des libertés fondamentales inscrites dans la Constitution ou en découlant directement une loi nouvelle ne conduise à créer un régime plus restrictif ou plus sévère d’une telle liberté. Cela a, par exemple, été jugé dans la décision du 11 octobre 1984 en matière de liberté de la presse. Dans ce cadre le législateur ne peut réglementer le régime d’une liberté que « pour le rendre plus effectif ».

À propos de la loi Taubira, le Conseil constitutionnel a jugé, le 17 mai 2013, que les règles relatives à l’union par le mariage de deux personnes de même sexe ou de sexe différent ne relèvent pas « des droits et libertés fondamentaux ». Cela signifie qu’il n’existe pas de dispositions constitutionnelles ou de principes constitutionnels permettant d’inclure le mariage entre personnes de même sexe dans la jurisprudence « cliquet ». Pour le Conseil constitutionnel les règles relatives aux personnes susceptibles de se marier font partie du domaine de la loi et non du domaine de la Constitution. De ce fait, pour reprendre la formule habituelle du juge constitutionnel, « il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution… d'adopter… des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».

Comme il n’existe pas de garanties constitutionnelles spécifiques, le Parlement, s’il en a l’occasion, a le droit de réécrire la loi Taubira, soit pour la compléter, soit pour la modifier, soit pour en abroger l’essentiel et créer un autre régime d’union entre personnes de même sexe.


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