mardi 13 janvier 2015

"#JeSuisCharlie: "En état de choc, on fait n’importe quoi" par Guillaume de Prémare ( ... et autres essais)




"#JeSuisCharlie : En état de choc, on fait n’importe quoi" 
par Guillaume de Prémare [*]

"Terrorisme : la culture du mépris fait le lit de la violence religieuse"
par Charles-Eric de Saint Germain  [*]

"Le destin de Charlie" 
par Emmanuel di Rossetti   [*]

"Les conditions culturelles et spirituelles de la paix" 
par Henri Hude   [*]

"Pourquoi “Charlie” ne peut pas être un symbole de la liberté d’expression"
par Laurent Sentis   [*]

«Ce qui arrive est la conséquence de notre aveuglement»
par Xavier Lemoine   [*]

Après le drame, un débat sur la "liberté d'expression"
par Patrice de Plunkett   [*]




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(source: Ichtus)

"CharlieHebdo"... par Guillaume de Prémare


"#JeSuisCharlie : En état de choc, on fait n’importe quoi" 


Que pensez-vous de ce que nous vivons autour du choc « Charlie Hebdo » ?

Il faut partir du fait générateur qui est le terrorisme. La France a déjà connu, dans un passé récent, des vagues de terrorisme. Mais elles n’étaient pas de la même nature. Je vois deux différences profondes.

La première différence est que les vagues de terrorisme des années 1980 et 1990 étaient 
principalement destinées à faire pression sur la politique internationale de la France, qu’il s’agisse du conflit israélo-palestinien ou de l’Algérie. Aujourd’hui, les terroristes cherchent aussi à faire pression sur la France par rapport à ses engagements militaires à travers le monde, mais ils poursuivent plus largement un objectif de conquête politico-religieuse à l’échelle mondiale, ce qui est nouveau, appuyé sur une idéologie politico-religieuse qui est ancienne.

La deuxième différence, c’est que les terroristes venaient jusqu’ici le plus souvent de l’extérieur. Aujourd’hui, l’islam radical s’appuie principalement sur des musulmans qui vivent en France, et sont même de nationalité française. Les jeunes sont radicalisés en France, font leurs armes à l’étranger puis reviennent en France pour combattre. C’est un élément-clé de la stratégie terroriste en France : mener une guerre de l’intérieur qui s’appuie sur des troupes déjà sur le sol français.

Selon vous, quelle est la stratégie de ces terroristes ?

Leur stratégie est de semer le chaos, de provoquer un état de choc global de notre société, pour créer une fracture irrémédiable entre les musulmans français et le reste de la population. Ils commettent donc des attentats pour faire grimper à son paroxysme la peur de l’islam et l’hostilité envers l’islam, jusqu’à la psychose, à un point tel que les musulmans ressentent cette hostilité, y compris, si possible, en raison de représailles contre la communauté musulmane. Il nous faut donc impérativement éviter les délires identitaires agressifs.

Ils misent sur l’aspect très communautaire de la religion musulmane pour gagner l’opinion musulmane. Celle-ci, se sentant en terrain hostile, se communautariserait toujours davantage et serait mûre pour d’abord éprouver de la sympathie pour le djihadisme, ensuite leur apporter un soutien. Cela ne signifie pas qu’une majorité des millions de musulmans qui vivent en France deviendrait terroriste – dans une guerre les combattants sont toujours minoritaires -, mais les islamistes pourraient recruter de jeunes musulmans sur un terreau de plus en plus favorable et évoluer, dans les quartiers musulmans, en terrain ami. Je ne dis pas qu’ils vont réussir, mais je pense que c’est leur projet.

Pour accentuer ce processus de séparation des musulmans de la communauté nationale, il y a un autre aspect qui est la guerre culturelle. Il s’agit de séparer toujours davantage culturellement les musulmans de la culture française. Pour cela, ils s’appuient sur la décomposition de la culture française pour en faire un parfait repoussoir pour tout bon musulman. Plus la société française est athée, libertaire, permissive, consumériste, sans repères, vide de sens, et en faillite éducative, plus la fracture culturelle grandit avec les musulmans. Je crois que cet aspect des choses est majeur dans le défi auquel nous sommes confrontés. Ce n’est pas le « choc des cultures », mais le « choc des incultures » comme dit François-Xavier Bellamy.

Alors, pourquoi Charlie Hebdo ?

C’est ce que l’on nomme la guerre psychologique. Il y deux choses : le choix de la cible et les moyens employés. Les moyens visent à provoquer l’état de choc : l’utilisation d’armes de guerre, l’exécution froide des journalistes de Charlie Hebdo, et celle bien sûr d’un policier achevé à terre. C’est le complément idéal de l’état de choc mondial volontairement créé par la diffusion de vidéos des horreurs commises au Proche-Orient par l’Etat islamique. Il faut que ça fasse barbare. Plus nous les voyons comme barbares, mieux ils se portent. La deuxième chose, c’est le choix de la cible, Charlie Hebdo. A mon avis, c’est un choix parfaitement pensé.

Charlie Hebdo est honni par l’opinion musulmane, les musulmans n’ont pas besoin d’être islamistes pour détester Charlie Hebdo. En attaquant Charlie Hebdo, les terroristes veulent désensibiliser les musulmans à la compassion pour les victimes. Cette action psychologique vise notamment les jeunes musulmans qui, comme beaucoup de jeunes de leur génération, sont de plus en plus désensibilisés à la violence par les films, les jeux vidéo et tout ce qu’ils voient à la télévision. Nous avons vu cette semaine, par exemple dans les écoles de Seine-Saint-Denis, que cette action psychologique fonctionne à merveille. Dans certaines écoles, il a été très difficile d’organiser ou de faire respecter la minute de silence.

Ensuite, en attaquant Charlie Hebdo, les islamistes provoquent une sympathie généralisée pour Charlie Hebdo dans l’opinion publique française. Charlie devient le symbole de la France et la décomposition culturelle s’accélère : la France c’est Charlie et Charlie c’est la France. Dimanche, la France de Saint Louis, de Napoléon, de de Gaulle, d’Aragon et Hugo est devenue « Charlie », ce qui est une régression culturelle. A partir de là, dans le meilleur des cas le jeune musulman est poussé à faire une quenelle à la France, geste de mépris et de défi très populaire dans la jeunesse des banlieues, dans le pire des cas on fabrique les futurs jeunes djihadistes.

D’une certaine manière, nous n’avons pas affirmé ce que nous sommes vraiment…

En effet, nous avons affirmé l’inverse de ce que nous sommes. L’article 4 de la déclaration des droits de l’homme dit que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». C’est un principe fondamental puisqu’il est dans notre document de référence fondamental. Il y a deux ans, le plus grand nombre était d’accord pour critiquer la parution des caricatures parce qu’elles étaient jugées insultantes, blessantes. L’insulte est une violence et la violence nuit à autrui, la violence nuit à celui qui la subit. Bien évidemment, la liberté d’expression est un bien précieux, mais il n’y a pas de liberté absolue dans une société. Nous piétinons donc nos propres principes dits « fondateurs » en disant qu’il y a, en quelque sorte, un droit à l’insulte. La déclaration des droits de l’homme dit l’inverse ! Comment voulez-vous faire respecter des principes que nous piétinons ?

Ensuite, devons-nous accepter, pour nous-mêmes, cette régression culturelle qui veut que « La France c’est Charlie », qui veut que le poids symbolique de nos valeurs, de notre identité et de notre unité repose sur Charlie ? Luz, un dessinateur de Charlie, a expliqué dans les Inrockuptibles que cette charge symbolique que l’on met sur Charlie Hebdo était à côté de la plaque.

Vous êtes en train de nous expliquer que nous avons fait exactement ce qui convient aux terroristes islamistes ?

Absolument. Au départ, il y a une excellente intention : dire sa compassion envers des victimes d’un assassinat terrible et inacceptable, dire son refus de la violence et du terrorisme. Mais le slogan « Je suis Charlie » est venu donner à ce bel élan un contenu hystérique à contre-emploi : la France c’est Charlie et Charlie c’est la France. Ensuite il y a eu la marche, ce bel élan populaire de citoyens qui ont besoin de se rassembler pour dire leur refus du terrorisme et rendre hommage à nos morts. Cet élan a été récupéré par une caste politico-médiatique décrédibilisée qui y a vu l’occasion de se refaire la cerise sur l’affaire Charlie Hebdo. En état de choc, on fait n’importe quoi, on est manipulable, le cerveau sur-sensibilisé jusqu’à l’hystérie est disponible à la manipulation. La broyeuse médiatique est passée par là et la France a défilé avec comme slogan « Je suis Charlie », comme image des caricatures insultantes et comme symbole suprême le crayon qui manie l’insulte. En gros, la caste politico-médiatique est parvenue à donner l’image d’un peuple réuni autour des valeurs, non pas de la France, mais des valeurs vides de sens de leur caste : ce que la propagande politique et télévisuelle a nommé « nos valeurs », « notre modèle », « notre mode de vie ». Le terme même de « marche républicaine » est insuffisant. La question n’est pas celle de la forme de gouvernement, acceptée par le plus grand nombre, mais celle de la France. La France est d’abord un pays, pas une forme de gouvernement.

La marche était donc une mauvaise idée selon vous ?

Non, c’était une bonne chose dans l’élan initial. Il aurait peut-être fallu faire une marche blanche, sans slogans ni pancartes, une marche citoyenne, de société civile. Une marche avec pour seul contenu le refus du terrorisme et l’hommage rendu aux victimes. Nous aurions alors gagné une bataille psychologique. Or, dimanche, nous avons perdu une bataille culturelle et psychologique. Ce qui s’est passé est grave et beaucoup de gens ne s’en rendent pas compte parce qu’une propagande sans précédent dans l’histoire de la France contemporaine a été diffusée par la télévision et démultipliée sur les réseaux sociaux comme un réflexe pavlovien. Nous sommes guidés et informés par des irresponsables, des aveugles qui guident des aveugles. Il est temps d’ouvrir les yeux.

Que pouvons-nous faire ?

Tout d’abord mener la guerre sans faiblesse sur le sol même de France contre les terroristes, avec nos services spécialisés et nos moyens policiers. Ensuite, il faut contrer l’adversaire sur les points-clés de sa stratégie : éviter la psychose et garder calme et sang-froid, éviter autant que possible les attitudes agressives et hostiles envers les musulmans, les représailles. Il y en a eu, pour le moment légères. Nous devons ensuite entrer dans la lutte d’influence sur l’opinion musulmane, essayer de nous gagner l’opinion musulmane avant que les islamistes ne la gagnent. Nous devons stopper notre décomposition culturelle et redécouvrir ce que nous sommes vraiment, c’est-à-dire Hugo plutôt que Charlie. Et nous devons, sur cette base commune, nous battre sur le terrain éducatif et culturel. Nous avons tout investi dans le social dans les banlieues, à fonds perdus. Nous devons essayer de transmettre aux jeunes musulmans ce qu’est la France, faire aimer la France aux jeunes musulmans et à leurs parents. Demandez à Jean-François Chemain, Xavier Lemoine ou Camel Bechikh si c’est possible de réduire la fracture culturelle, ils vous diront que oui. C’est leur expérience concrète, pas une idée abstraite. A Montfermeil, ils ont proposé une offre éducative avec les cours Alexandre Dumas. C’est le prototype d’écoles qu’il faudrait étendre sur tout le territoire. Ce qui réussit aujourd’hui à petite échelle, il faut le faire à grande échelle.

Est-il encore temps ?

Je ne sais pas, mais partons du principe que oui, il est encore temps. Travaillons avec cœur, détermination et amour. Toute victoire commence par un premier pas, partons à la conquête des cœurs !

Propos recueillis par Nicole Buron.
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(source: Liberté politique)


"Terrorisme : la culture du mépris fait le lit de la violence religieuse"



À travers l'odieux attentat contre Charlie Hebdo, c'est encore une fois la liberté de pensée et d'expression que l'on attaque, alors qu'elle constitue un droit fondamental de l'homme, de tout homme. Mais au-delà de cette tragédie, qui nous a laissé « sans voix », il faut aussi se demander ce qui peut pousser des fondamentalistes fanatiques à commettre des actes aussi barbares.

J'ai tendance à penser que le recours à la violence commise (et j'aurais aimé que tous ceux qui ont "suivi Charlie" manifestent également une solidarité semblable à l'égard des chrétiens massacrés dans les pays d'Orient par des fondamentalistes musulmans) est la réponse (inacceptable) à une violence subie, elle est une contre-violence, certes irrationnelle et inqualifiable, mais qui doit, si nous voulons éviter l'escalade de la violence dans la société, nous amener à réfléchir sur ce qui a pu générer une telle réaction à l'égard des journalistes de Charlie Hebdo.

Tout d'abord, je tiens à rendre hommage à leur courage : ils se savaient menacés, ils ont continué à faire usage de leur liberté de pensée et d'expression, au risque du martyre. Leur mémoire doit être honorée à ce titre. Mais une chose est de louer leur courage, autre chose de justifier leurs écrits : personnellement, j'ai toujours trouvé leurs caricatures de la religion grossières, et elles ne m'ont jamais fait rire.

Elles participent surtout de cette inculture religieuse galopante qu'elles contribuent à entretenir auprès des lecteurs de Charlie-Hebdo, et si l'on manque un peu d'humour pour prendre suffisamment de distance, certains croyants peuvent même se sentir profondément blessés par ce qu'ils vivent comme une véritable « agression » (ce qui est le cas pour certains musulmans qui n'admettent pas que l'on touche au « prophète », mais les chrétiens n'étaient pas en reste dans cette revue, qui ne cessait de s'en prendre, souvent plus bêtement que méchamment d'ailleurs, aux principaux dogmes de la religion chrétienne).

L'obscurantisme antireligieux
La question est de savoir comment gérer cette « violence » que génère la société actuelle vis-à-vis des religions quand on ne reconnaît plus (ce qui est malheureusement le cas aujourd'hui) l'apport fondamental des religions à la culture, et que l'obscurantisme antireligieux (bien qu'il prenne des formes fort heureusement plus douces), n'a finalement rien à envier à l'obscurantisme religieux, que sa propre ignorance du « fait religieux » ne fait en réalité qu'exacerber.

Certains objecteront, certes, que la religion semble avoir partie liée avec la violence, prenant appui sur certains versets isolés des textes sacrés. Et il est vrai qu'ils n'ont pas totalement tort, car la dimension sacrificielle est bien au cœur de toute religion. René Girard a d'ailleurs montré, dans La Violence et le Sacré, que les sociétés modernes ont trouvé le moyen de traiter la violence en punissant le vrai coupable là où les sociétés qui sont encore sous l’emprise de la religion archaïque font souvent appel à un « bouc émissaire », c’est-à-dire à une victime innocente que l’on sacrifie pour purifier la société de ses maux, l’harmonie de la société ne pouvant se rétablir qu'en déchargeant sa colère vengeresse sur ce « bouc émissaire ».
L’exception chrétienne

Le christianisme constitue, de ce point de vue, une exception, il faut bien le reconnaître, puisque dans cette religion, c'est Dieu lui-même qui, en offrant sa vie en sacrifice expiatoire pour le pardon des péchés, va catalyser sur sa personne la violence sociale : celle-ci, en se déchaînant sur cette « victime innocente », va néanmoins permettre de réconcilier définitivement les hommes avec Dieu, moyennant la foi dans la valeur rédemptrice de ce sacrifice puisque rachetés par le sang précieux du Christ versé pour le pardon des péchés, les hommes pourront, par la foi, s'approprier la justice que le Christ leur aura acquise sur la Croix et seront désormais vus « en Christ » (graciés) et non « en Adam » (reconnus coupables).

C'est ce qu'on appelle la « théorie de la substitution pénale » : par son sacrifice, une victime innocente se substitue aux pécheurs coupables, pour satisfaire à la justice divine, qui exige le châtiment des coupables (les hommes, en tant qu'ils ne cessent de transgresser la loi divine).

Ce qu'on oublie de dire, c'est qu'en accomplissant « une fois pour toutes » le « sacrifice parfait », le Christ a mis définitivement fin à la dimension violente et sacrificielle des religions : ayant réalisé l'offrande parfaite pour le pardon des péchés, on ne peut plus désormais que commémorer ce sacrifice, et plus personne ne pourra désormais se réclamer de Dieu ou de la religion pour commettre des actes de violence ou des actes sacrificiels sans renier et trahir du même coup la parfaite suffisance du sacrifice accompli par le Christ sur la Croix.

Toutes les religions ne se valent pas

Voilà pourquoi le christianisme ne prêche pas la violence, ni la vengeance, mais à la « loi du talion », il oppose l'amour de ses ennemis, et à la place de la vengeance, il ouvre la porte à la miséricorde et au pardon pour l'homme qui se repent de ses péchés et croit au sacrifice du Christ pour l'expiation de ceux-ci. En mettant un terme au cycle sans fin de la vengeance et de ses représailles, le christianisme a donc aboli la violence puisqu'il la désarme à sa racine même.

Force est de reconnaître que, de ce point de vue, toutes les religions ne se valent pas, et que la culture du relativisme propre à notre démocratie actuelle tend à nous cacher cette évidence : une religion qui appelle à la vengeance ne vaut pas une religion qui place l'amour et le pardon au cœur de son message, quand bien même ce message aurait été trahi, au cours des siècles — et à de multiples reprises ! — par ceux qui se sont pourtant réclamés du christianisme.

Une laïcité complice

Mais la société française à tout intérêt à faire elle-même son autocritique, en se demandant si elle n'a pas une responsabilité complice dans la violence qui sévit aujourd'hui en son sein. Car nul ne peut contester que la sphère médiatico-politique véhicule aujourd'hui, à l'égard des religions, une « culture du mépris » (quand ce n'est pas de l'ignorance pure et simple) qui ne peut engendrer, à terme, qu'une escalade de la violence, et les journalistes de Charlie Hebdo ont largement été complices, il faut bien le reconnaître, de cette « culture du mépris » à laquelle ils ont sans doute eu le tort de contribuer par leur propre inculture religieuse, même si le caractère satirique et humoristique de leurs propos peut éventuellement valoir pour absolution.

La « laïcité française » aurait néanmoins tout intérêt à tirer les leçons de cet épisode sanglant, et à se demander si elle laisse une place suffisante aux religions et à la liberté d'expression religieuse, afin de ne pas attiser, justement, la violence que ce « mépris » ne peut manquer de susciter chez les croyants, en particulier ceux qui, en mal d'intégration, ne parviennent pas à vivre pleinement le « message évangélique ».

Comment se manifeste cette « culture du mépris » des religions ?

Outre le caractère de plus en plus agressif de la laïcité vis-à-vis des religions, qui sont souvent caricaturées, comme on l'a vu plus haut, y compris dans des lieux (comme celui de l'école) qui devraient plutôt avoir la mission de faire ressortir leur apport à la culture (qui est considérable, au moins pour ce qui concerne le judéo-christianisme), le mercantilisme de la société de consommation qui est la nôtre, en évacuant toute dimension de transcendance sacrée, ne peut que faire violence à l'humanité de l'homme, dont la nature spirituelle est de plus en plus méconnue ou étouffée, au profit d'une réduction de l'humain à la seule logique du marché et de la consommation de masse.

Or quand le croyant ne peut plus faire entendre sa voix dans l'espace public, ou quand celui-ci n'est plus que l'expression monocorde d'un conformisme idéologique « convenu », il ne faut pas s'étonner, même si on doit bien sûr le déplorer, que la violence et l'humiliation subie ne puisse que générer une réaction violente en retour, car faute de pouvoir dire et exprimer publiquement cette frustration par la parole, la violence physique est parfois l'ultime « moyen d'expression » qui reste à ceux qui ne partagent pas les « valeurs » de cette société de consommation où la mort de Dieu conduit nécessairement aussi à la mort de l'homme lui-même.

Le débat et le dialogue ont pourtant toujours été les moyens de conjurer la violence, en substituant le « choc » et le « heurt des idées » à la seule nudité de la violence physique. La démocratie, il faut le rappeler, se nourrit de ces heurts et de ces contradictions, car ce sont les régimes non-démocratiques qui refusent ces « tensions » au profit d'une pensée unique et monolithique.

Quand cette confrontation n'existe plus vraiment dans l'espace public, parce qu'il n'y a plus de « contradicteurs », ou qu'on ne laisse plus vraiment de « place » à la contradiction, les conditions d'un authentique débat pacifique et démocratique ne sont plus réunies, et seule reste alors (pour ceux qui ne partagent pas cette vision de la société ayant évacuée toute dimension spirituelle de son horizon) l'expression de la violence à l'état brut, dans son « fanatisme meurtrier ».

Laïcité ou liberté

Pour mettre fin à cette violence, il faut refuser que l'espace public soit monopolisé par une tendance à imposer une vision du monde « unique » (que ce soit celle de l'idéologie mercantile libérale, ou celle que les partisans de l'islam voudraient lui opposer) et restaurer la nécessaire pluralité que la démocratie doit théoriquement garantir, ce qu'elle ne fait plus aujourd'hui.

Restaurer une liberté d'expression et de pensée pour tous, que l'on soit croyant, agnostique ou athée, dans le respect des convictions propres à chacun, tel serait le seul moyen d'exorciser la violence que génère une vision « monolithique » du monde pour ceux qui n'en partagent pas les valeurs.

Condamner ouvertement le « fondamentalisme religieux » sans remettre en cause ce qui peut générer la violence chez ce fondamentalisme ne fera malheureusement pas avancer les choses d'un pouce. Et si la société française ne parvient pas à remettre en cause sa propre violence idéologique, il est à craindre qu'elle ne puisse trouver de remède à cette violence (terrible dans l'histoire de Charlie Hebdo) qu'elle a subie par contre-choc, et d'une manière particulièrement barbare, il faut bien le reconnaître.

Charles-Eric de Saint Germain est professeur agrégé de philosophie. A paraître : La défaite de la raison : Essai sur la barbarie politico-morale contemporaine (Salvator, mai 2015).


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(Source: contrelesrobots)


"Le destin de Charlie"



« L’ennemi te limite donc te donne ta forme et te fonde ». Cette phrase de Saint-Exupéry exprime assez bien notre condi­tion à la fin de cette pre­mière semaine de l’année 2015. L’ennemi m’oblige à évoluer selon ses codes, à l’intérieur d’un espace qu’il a cir­cons­crit. Je suis d’abord pri­son­nier. Il choi­sit le ter­rain et m’astreint à y res­ter confiné. Des deux don­nées humaines immuables, l’espace et le temps, il m’ôte l’espace. Ôter l’espace au temps c’est un peu ôter Lau­rel à Hardy. L’autre unité conti­nue de vivre, mais elle est défi­gu­rée. Elle a perdu l’équilibre offert par l’altérité de son conjoint. Le temps n’est pas le même sui­vant l’espace dans lequel il évolue. La géo­gra­phie accom­plit le des­tin avec une mesure aussi pré­cise que le sablier.


Mori­hei Ueshiba, l’inventeur de l’aïkido, qui était prêtre et phi­lo­sophe, vou­lait « chan­ger les hommes », leur ôter toutes vel­léi­tés de vio­lence. Il vou­lait vaincre, mais aussi que le vaincu soit changé, qu’il n’ait plus jamais envie de se battre ou d’attaquer quelqu’un. La défaite se trans­for­mait en remède au mal de l’agression. Si l’ennemi m’accule, je l’évite une pre­mière fois, une deuxième, une troi­sième… Un petit ascen­dant m’anime, et l’habite. Dans les arts mar­tiaux, il n’existe pas d’enchaînements com­men­çant par une attaque. L’art de la guerre repose sur la défense. J’ai accepté parce que je ne pou­vais pas faire autre­ment l’espace, j’ai accepté, car j’ai été agressé, mais mon adap­ta­tion à l’espace doit être supé­rieure à celle de l’ennemi, car je ne suis pas aveu­glé par la haine. La haine est mul­tiple et révèle la pré­sence de Satan sur Terre. La haine n’est jamais une liberté, ou bien c’est la liberté volée à l’autre. La haine sait très bien se dis­si­mu­ler sous un sou­rire ou même un rire. Elle est tou­jours une perte de soi, elle blesse l’agresseur et la vic­time. Soyons donc bien conscients que l’ennemi n’est jamais lui-même et que pour le vaincre ma plus grande force est de res­ter moi-même. Pour vaincre, je dois tou­jours me vaincre. Si, une par­tie de moi renonce à l’autre, si la divi­sion m’habite, si je crois qu’il me suf­fit de me ser­rer la main ou de me ser­rer dans mes bras, de pava­ner devant les médias, je suis fichu. Je m’envolerai au pre­mier coup de vent. Je dois tou­jours res­ter fidèle à mon des­tin, cette âme, cette liberté, ce don de Dieu. Le mal n’est pas une puni­tion nous dit Pas­cal, il est une voie tra­cée, une obs­ti­na­tion à cher­cher Dieu, à s’accorder à Lui, à aimer1. Tout mal est une nou­velle chance de conver­sion. Tout mal est une chance d’échapper aux griffes acé­rées du mon­dain repu d’identité, de puis­sance et d’envie qui, si elles peuvent s’avérer des armes dans le com­bat, ne fondent rien qui res­semble à une civilisation.

L’ennemi agit d’abord sur mon âme

« L’ennemi te limite donc te donne ta forme et te fonde ». L’ennemi en me limi­tant m’oblige à défi­nir ce que je suis à tra­vers ma géo­gra­phie. La géo­gra­phie com­bine la carte et le ter­ri­toire. La culture et la nature. L’ennemi se ren­force de ma fai­blesse. Si ma culture et ma nature ne s’accordent pas, si elles ne se res­pectent pas ou si je ne res­pecte pas l’une ou l’autre, mon ennemi a gagné. Lorsque j’esquive, mon esprit ne peut lan­cer le mou­ve­ment et mon corps, après réflexion, déci­der de le suivre. Mon corps et mon esprit doivent ne faire qu’un. C’est tout l’art du com­bat. C’est la forme. L’ennemi me donne ma forme non pas en me mode­lant, mais en me décons­trui­sant2, si je ne suis pas un, si je suis fait de bric et de broc, si je suis raccommodé.

Et il me fonde… parce qu’il me force à m’abandonner et à me retrou­ver. L’ennemi est aussi alté­rité. Il me force à m’abandonner, car je ne veux pas du com­bat, mais il le faut. Le déploie­ment de ma force est juste, car elle vient pro­té­ger ce qui me fonde. La force qui pro­tège est la seule qui nous pré­serve de la volonté de puis­sance. Sinon, si elle est au ser­vice de la puis­sance, si elle me force à m’ensauvager, elle signe la vic­toire de l’ennemi. La guerre me force à me retrou­ver parce que je ne peux vaincre qu’en étant cette âme que Dieu appelle à la conver­sion à tra­vers le mal. L’ennemi agit d’abord sur mon âme. Il m’agresse, il veut que je vienne sur son ter­rain, dans son espace. Mon pre­mier et déci­sif défi consiste à accep­ter sa charge (je ne peux faire autre­ment sauf à être éliminé avant d’avoir com­battu), mais à chan­ger son espace en le mien, tout en conti­nuant à agir comme s’il s’agissait de son ter­rain de vin­dicte, sa forme devient la mienne, il ne fonde que sa perte.
La France est tel­le­ment plus que la République

La France a contri­bué à façon­ner le monde en l’aimant. C’est la mis­sion de la France depuis tou­jours. Pas depuis deux siècles comme nos gou­ver­nants veulent le croire et le faire croire. La France est tel­le­ment plus que la Répu­blique. Il est aussi facile pour les incultes de bro­car­der la mis­sion de la France dans l’Histoire. L’ennemi est double et inté­rieur : il nous gou­verne, il incarne notre ave­nir. De géné­ra­tion en géné­ra­tion, nos chefs cultivent une crasse igno­rance dont ils s’honorent éhon­té­ment. Chaque nou­veau pré­ten­dant nous pousse à croire que l’on peut aller plus loin dans ce sillon de la médio­crité. La Répu­blique dont ils ne cessent de bran­dir les valeurs subit le plus impor­tant revers de sa jeune exis­tence, elle, qui fon­dait son empire sur l’instruction, par­don, l’éducation, ne recon­nait plus ses enfants, et ses enfants la haïssent. Notre jeu­nesse se repaît de la vio­lence et l’appelle de ses vœux. Aux deux bouts de la chaîne, l’inconnaissance com­mande et ordonne, trou­vant des sub­ter­fuges pour ne pas se remettre en ques­tion en poin­tant des boucs émis­saires qu’elle va tra­quer jusque dans la lit­té­ra­ture, c’est dire comme elle est aux abois. L’inconsistance com­mande et ordonne parce qu’aux deux bouts de la chaîne, l’idéologie pré­do­mine. La Répu­blique et son cor­tège de concepts flous publi­ci­taires (anti-racisme, laï­cité, etc.) et l’islamisme can­cer de l’islam qui tarde a réa­li­ser le virage de Ratis­bonne3. Le lien orga­nique qui a couru bon an mal an depuis le début de la France, depuis Clo­vis, trans­mis de-ci de-là par une mul­ti­tude quel­que­fois connue, sou­vent mécon­nue ou incon­nue, petite Jeanne ou grand Charles4, conti­nue d’exister. Il suf­fi­rait de se bais­ser un peu pour le ramas­ser, de le prendre dans ses mains, de le réchauf­fer et de le récon­for­ter pour qu’il retrouve sa joie de vivre. Et il est cer­tain que seul ce lien, ce petit lien si fra­gile qui n’a l’air de rien, mais qui a façonné le monde, peut nous aider à sur­mon­ter l’épreuve de la guerre. Il est tout aussi cer­tain qu’il n’existe aucun diri­geant connu suf­fi­sam­ment armé pour le retrou­ver. Il a été égaré depuis si long­temps. Nom­breux sont ceux qui font comme s’il n’avait jamais existé. Comme s’il était un fan­tasme. Per­sonne ne semble habité par une foi suf­fi­sante. C’est ce qui ne cesse d’inquiéter. Quand le malade ne croit plus en sa gué­ri­son, la mala­die place ses ban­de­rilles et attend de por­ter l’estocade. Notre conver­sion se mor­fond d’attendre. Notre des­tin ne peut s’appeler soumission.

1 - « Vous ne lais­sez sub­sis­ter le monde et toutes les choses du monde que pour exer­cer vos élus »

2 - Un grand maître de karaté oki­na­waïen dit un jour lors d’un cours qu’il don­nait : « Après quelques secondes de mains col­lantes, je connais tous les points faibles de la per­sonne en face de moi. Je n’ai plus qu’à appuyer sur ceux-ci lors du com­bat » et il démon­tra aisé­ment contre les meilleurs élèves ce qu’il venait de dire.

3 - Voici le lien vers le Dis­cours de Benoit XVI le 12 sep­tembre 2006. Ce dis­cours, main ten­due afin d’avoir une vraie dis­cus­sion autour de la vio­lence et des reli­gions et pas seule­ment concer­nant l’Islam, a été bro­cardé par tous les bien-pensants euro­péens. Tous se sont écriés que le Pape n’aurait jamais dû par­ler de cela et même qu’il n’en avait pas le droit. Dont acte !
4 - Charles de Gaule qui n’avait plus été fêté avec autant d’enthousiasme depuis fort long­temps, sans que les gens le sachent


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(source: Liberté politique)


"Les conditions culturelles et spirituelles de la paix" 



Dans le numéro n° 55 (Juil.-Sept. 2009), de la revue Humanitas, de l'Université catholique pontificale du Chili, le philosophe Henri Hude, membre du Conseil des collaborateurs de la revue, publiait un essai dans lequel il analyse, depuis la perspective de la philosophie morale et politique, les discours du pape Benoît XVI et du président américain Barak Obama, au Moyen Orient. Dans un entretien à l’agence Zenit (26/08/09), Henri Hude, ancien professeur à l'Institut Jean-Paul II pour la famille, à Rome, revenait sur cet essai : « Comment la religion peut être facteur fondamental de paix. »

ZENIT :Henri Hude, pourquoi un tel parallèle entre les discours de Benoît XVI et ceux de Barak Obama ?

Henri HUDE. — L'humanité a besoin de prendre « un nouveau départ », pas seulement au Moyen-Orient. Benoît XVI et Barak Obama l'affirment et emploient la même expression. C'est leur premier et leur dernier mot. Le but où tend ce « nouveau départ » est la paix universelle. Tous deux veulent y tendre sans utopie. Ce « nouveau départ » n'est possible, selon eux deux, qu'avec une prise en compte sérieuse de la religion. Les deux hommes prêtent donc une attention particulière aux conditions culturelles et spirituelles de la paix universelle. Leurs perspectives sur l'avenir, différentes mais croisées, suggèrent une possible recomposition positive du paysage global, spirituel et temporel.

Quel est selon vous l'apport essentiel de leurs interventions parallèles ?

Dire que la religion peut être facteur de paix. Barak Obama pense que les religions peuvent vivre ensemble harmonieusement en se soumettant à la norme d'une philosophie assurant l'égalité et la liberté des opinions et traditions, au sein d'une constitution politique visant à rassembler toute la pluralité dans l'unité, sans l'annuler. « E pluribus Unum ». Et à cette condition, leur apport à la société est très positif.

Benoît XVI dit encore mieux, à mon avis, à savoir : comment ce modèle théorique peut marcher, sans se dégrader dans l'utopie, ou dans la manipulation ? Benoît XVI parle moins de la religion en général, qu'il ne traite méthodiquement, avec réalisme et respect, les diverses relations particulières en présence : entre le christianisme et les Lumières ; entre les Lumières et l'islam ; entre le christianisme et l'islam. Il tient compte aussi du judaïsme, bien sûr.

Vous mettez donc les Lumières au nombre des religions ?

Bien entendu. C'est vrai même des Lumières en leur phase actuelle, toute relativiste. On se dit qu'il serait plus simple de reconnaître mutuellement nos « opinions » sans chercher de « vérité absolue »... Mais ce n'est pas si simple. Car s'il n'y a pas de vérité absolue, cela même devient la vérité absolue et alors il y a encore une vérité absolue. Et cette dernière « vérité absolue » n'est pas une simple règle pratique utile à la tolérance, mais c'est une croyance métaphysique déterminée, jointe à tout un système de permissions et d'interdictions. Si chaque esprit individuel est susceptible de faire surgir une vérité, nous sommes en plein polythéisme, ou panthéisme.

Les Lumières ont donc tout à fait raison de poser aux religions des questions sur la tolérance, la liberté religieuse et les guerres de religions — mais à condition de s'inclure elles-mêmes, et à égalité, dans le dispositif problématique qu'elles dégagent. Car la Raison des Lumières, elle aussi, quand on l'approfondit, est une des idées possibles de l'Absolu, de la Divinité, en concurrence avec toutes les autres.

Quel peut être l'intérêt de ces « profils parallèles », par rapport à l'œuvre de l'évangélisation ?

L'évangélisation n'est possible que si les chrétiens sont fiers de leur foi, et ne se sentent pas culpabilisés à cause d'elle. Benoît XVI déculpabilise les chrétiens, mais aussi les musulmans et les juifs. Une âme culpabilisée n'ose pas parler publiquement de sa foi. Pourquoi ? Benoît XVI le dit : « Certains soutiennent que la religion est nécessairement une cause de division dans notre monde ; et ils prétendent que moins d'attention est prêtée à la religion dans la sphère publique, mieux cela est » (Discours dans la mosquée Al Hussein, §3).

Et l'argument pour prouver cela est l'existence des guerres de religions, qui seraient inévitables. Barak Obama et Benoît XVI affrontent cette question avec franchise et profondeur. Il en résulte deux idées, très différentes, mais en partie convergentes, de la religion comme facteur fondamental de paix. Cela tend à déculpabiliser le chrétien par rapport à ce genre de reproche. Cela lui évite aussi de s'y exposer.

Quelle est la plus grande différence entre les deux hommes ?

Le président traite politiquement les religions, même s'il n'est pas dénué de sensibilité religieuse ; et il fait progresser la réflexion publique en faisant sentir qu'il discerne bien la complexité du problème. Toutefois, il s'élève difficilement au-dessus d'une rhétorique pacifiste interreligieuse, chaleureuse mais un peu vague, dont l'efficacité sur les esprits religieux restera mitigée, et sera souvent fonction de leur degré de sécularisation.

Bien sûr, la dissolution des religions dans l'ambiance séculariste et relativiste, qu'Obama ne désire pas, serait automatiquement la solution des problèmes que pose leur existence. Mais en ce cas, la dissolution du sécularisme serait aussi une solution possible des problèmes qu'il pose aux religions... Comment aller plus loin que ces pseudo-solutions ?

Le pape, lui, traite religieusement les religions. Il considère la relative difficulté de leur coexistence politique (qui est un fait indéniable) d'abord comme un problème religieux. Ce problème se pose à chacune sérieusement à l'intérieur de la conscience religieuse. Le pape ne part pas de ce que requièrent la politique démocratique, ou la paix mondiale, posées comme des absolus, mais il part de la recherche de la volonté de Dieu dans chaque situation. C'est aussi pourquoi sa philosophie politique est plus profonde et entre davantage dans le concret des conditions effectives de la paix.

Mais alors que signifie exactement l'appel à la paix interreligieuse, si on ne la lance plus uniquement au nom des Lumières ?

C'est la bonne question. Il faut évidemment que cet appel ne renferme en lui-même rien de contraire à la conviction fondamentale de chacune de parties en présence. Autrement, il sonne comme un appel à l'apostasie. Pour cela il faut un dialogue d'une totale franchise.

Supposez, par exemple, que Dieu ait révélé que la guerre sainte serait un devoir religieux — je ne me prononce pas ici sur le fond ; c'est une simple hypothèse de travail ; qu'est-ce que vous voudriez que cela fasse à un « vrai croyant », dans cette hypothèse, que de lui objecter que Dieu ne serait pas politiquement correct ? L'appel à la paix, formulé à l'occidentale, serait irrecevable.

En revanche, il pourrait être efficace et non déloyal de faire remarquer à ce genre de croyant que, dans les conditions nouvelles du monde, une guerre sainte, surtout usant de moyens affreux, aurait pour la cause de sa religion un caractère tout à fait contreproductif, qui ne conduirait qu'à l'affaiblissement de cette religion au profit d'une conception irréligieuse de la liberté et de la paix. Ce fut l'expérience amère de la chrétienté européenne aux XVIe et XVIIe siècles. Les guerres de religions ont fondé la sécularisation en Europe. Ceci n'est bien sûr qu'un exemple.

Un appel à la «tolérance » est donc tout à fait superficiel, s'il consiste à faire la leçon aux théistes du point de vue polythéiste, ou panthéiste. Supposez qu'on demande aux musulmans d'accepter de considérer Allah comme un des dieux du Panthéon relativiste : ce serait une mauvaise plaisanterie, qu'ils prendraient très mal. Un chrétien aussi, d'ailleurs. Car qu'est-ce qu'un descendant d'Abraham selon la foi ? Quelqu'un qui pense que Dieu l'a appelé à une rupture décisive avec le panthéisme et le polythéisme.

C'est pourquoi la prédication séculariste d'une vague tolérance relativiste ne promeut aucun dialogue sérieux et profond. Elle tend seulement, ou à dissoudre les religions théistes en les réduisant au silence par culpabilisation, ou à les dresser avec violence contre l'idée même de la tolérance. Pour établir un dialogue sérieux et pacifiant, un « croyant aux Lumières » devrait commencer par dire : « Je suis polythéiste, ou panthéiste, et j'estime que ma croyance est la vraie. » Discutons-en, si vous le voulez. L'appel à un dialogue profond suppose la vérité, et accepte le tragique du dissentiment sur l'essentiel.

Mais comment peut-on vivre en paix ensemble si on est séparé par des dissentiments sur l'essentiel qu'on refuse de relativiser ?

Ce qui permet la coexistence, c'est l'estime et l'amitié, par la communauté du sérieux éthique d'une vie vertueuse. Ainsi s'était bâti le consensus des États-Unis, entre philosophes et croyants, depuis l'Indépendance. C'est ce consensus qui a volé en éclat depuis l'arrêt sur l'avortement. Barak Obama voudrait le rebâtir, mais comment ?

Si les Lumières abandonnent le devoir kantien au profit de l'hédonisme et du relativisme éthique, la démocratie « éclairée » ne se structure plus autour de la liberté qui monte mais autour de celle qui descend, et il n'y a alors plus de lieu commun entre elle et les religions, ni d'ailleurs entre les Lumières tardives et les Lumières triomphantes.

Les questions d'éthique de la vie sont cruciales à cet égard. Si les Lumières renoncent à l'exigence rigoureuse du devoir, elles se dégradent en un laxisme intolérant qui pousse au choc des civilisations.

Pourquoi y a-t-il des guerres de religions ?

Il faut comprendre ce terme de « guerre de religions » au sens le plus large. Les guerres entre idéologies issues des Lumières, ou entre une religion et une telle idéologie, sont aussi des guerres de religions, en ce sens large. Le pape note que les guerres de religion existent, au sens large, mais ne sont pas forcément très religieuses : « C'est souvent la manipulation idéologique de la religion, parfois à des fins politiques, qui est le véritable catalyseur des tensions et des divisions » (Discours dans la mosquée Al Hussein, §3). On pourrait ici invoquer le témoignage du philosophe Montaigne, qui vivait en France aux temps des guerres de religions (Essais, II, 12).

Si l'action du Général Petraeus, en Irak, y a tant amélioré les affaires des Etats-Unis, c'est qu'elle a été bâtie, justement, sur une analyse beaucoup plus fine du caractère d'un conflit comportant une dimension religieuse, comme l'explique le Pr. Ahmed S. Hachim [1]. Aussi Benoît XVI loue-t-il les dirigeants jordaniens de « s'assurer que le versant public de la religion reflète sa véritable nature » (Discours dans la mosquée Al Hussein, §3).

Propos recueillis par Jaime Antúnez Aldunate
Texte espagnol de l'article de H. Hude dans Humanitas, n°55 :http://www.humanitas.cl/html/revista/hum55_2009.html


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(source: Liberté politique)


"Pourquoi “Charlie” ne peut pas être un symbole de la liberté d’expression"





La liberté d’expression illimitée n’est pas une condition de la démocratie. Elle en est même le contraire, a fortiori si c’est l’État qui s’attribue le pouvoir d’en fixer les principes. Car c’est ainsi qu’on passe très facilement d’une liberté illimitée au despotisme d’une politique liberticide. Le peuple français s’en rend-il compte ?

À LA SUITE de l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, de nombreux commentateurs ont développé l’idée qu’à travers ces dessinateurs, était visée la liberté d’expression. Or celle-ci étant un élément fondamental de notre société, c’est la démocratie elle-même qui était attaquée. Que veut-on dire par là ? Veut-on dire que notre société présuppose une liberté d’expression illimitée ? Et si l’on concède qu’il existe des limites à cette liberté d’expression, sur quoi se fonde cette limite ? Il semble nécessaire de méditer ces questions si l’on veut raison garder dans notre appréciation des événements.

I- La liberté d’expression est-elle illimitée ?

Poser la question c’est déjà y répondre. Car, de fait, aucune société n’a pu supporter une liberté d’expression illimitée. De façon générale, les incitations au crime sont toujours considérées comme des délits plus ou moins graves selon les circonstances. Notre société, qui se veut pourtant libérale et permissive, considère à juste titre, depuis1972, l’incitation à la haine raciale comme un délit.

La déclaration de 1789 a posé très clairement le principe d’une limitation de la liberté d’expression :

Art. 10. - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.
Art. 11. - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

On remarquera que la Déclaration ne fait pas de la liberté d’expression un droit fondamental mais un droit précieux et confère à la loi le pouvoir de poursuivre un usage abusif de cette liberté. Mais comment établir que telle ou telle manifestation d’opinion trouble l’ordre public ?
II- La contradiction interne de la Déclaration de 1789

Si l’on se réfère à la déclaration de 1789 on voit que de façon générale « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4). Et il appartient à la loi telle que l’a établie la volonté générale de « ne défendre que les actions nuisibles à la société » (art. 5).

La loi, quant à elle, provient de la volonté générale. Elle provient du peuple agissant souverainement par lui-même ou par ses représentants (art. 6). Concrètement, dans les démocraties modernes, c’est le parlement qui est chargé d’établir les lois. Cela veut dire qu’il convient de promouvoir un débat, de permettre aux différentes opinions de s’exprimer et à une majorité de définir ce qui aura force de loi.

Ainsi, d’un certain point de vue, la liberté d’expression est une condition de possibilité du débat démocratique. Et d’un autre point de vue c’est au parlement de définir les limites de la liberté d’expression. On perçoit dès lors le danger qui menace une démocratie qui n’a pas d’autres références morales que l’exigence de « ne pas nuire à autrui ».

Dans la mesure où c’est la volonté générale qui définit ce qui nuit et ce qui ne nuit pas à autrui, on passe très facilement d’une liberté illimitée à la tyrannie d’une majorité parlementaire qui peut, au nom de ce qu’elle perçoit comme le bien commun, empêcher toute contestation de certaines de ses orientations.

III- Démocratie et liberté d’expression

Les remarques qui précèdent ne doivent pas nous conduire à récuser toute forme de démocratie parlementaire. Que des hommes libres puissent s’associer, débattre et décider selon des procédures de type parlementaire les règles qui doivent définir les droits et les devoirs de chacun, cela semble tout à fait légitime. Mais cela implique-t-il que tout puisse être soumis à un vote parlementaire ? De toute évidence, on ne peut soumettre à ce vote ce qui en rend possible les procédures. Or celles-ci semblent provenir d’une conviction simple : il appartient à des hommes raisonnables et libres de pouvoir s’associer et débattre entre eux sur les règles susceptibles de régir leur vie commune.

Mais pour accéder à la raison et à la liberté, l’homme a besoin d’une éducation morale. Cette éducation se réfère à un certain nombre de principes. Pour dire les choses avec plus de clarté, la liberté n’est pas d’emblée pleine et entière. Elle se développe en chacun de nous dans la mesure où s’enracinent en nous les diverses vertus et en particulier les vertus cardinales [1].

Ces vertus et les principes moraux qui en découlent permettent à la démocratie d’exister dans la mesure où ils permettent à chacun d’accéder à sa pleine humanité et à une liberté responsable. En tant que conditions de possibilité du débat démocratique, ils ne peuvent pas être remis en cause par une majorité parlementaire.

Il n’appartient pas au pouvoir politique de définir les principes moraux mais d’organiser la vie commune.

Nous pouvons en tirer les conséquences en ce qui concerne cette liberté d’expression qui est au fondement de nos sociétés. Celle-ci ne consiste pas à pouvoir publier n’importe quoi [2] [comme vient de le rappeler le pape François, Ndlr]. Mais elle est le pouvoir d’exprimer loyalement et respectueusement ses convictions en ce qui concerne cette organisation de la vie commune.

Dans la mesure où cette liberté d’expression est une condition de possibilité de la démocratie, elle n’a pas à être limitée par une majorité parlementaire. Une authentique liberté d’expression se développe donc sur la base du respect de notre prochain aussi bien dans la manière d’exprimer nos convictions que dans le contenu de ces convictions.

IV- Des publications à promouvoir, à réprimer ou à tolérer

Une société démocratique doit donc promouvoir la liberté d’expression comprise comme le pouvoir d’exposer ses convictions dans le souci de la vérité et le respect de ses interlocuteurs. Cette liberté contribue alors à la vitalité de la société. Mais la société doit aussi gérer l’abus qui peut être fait de cette liberté. Parfois, il faudra réprimer sévèrement certains fauteurs de troubles. Mais le plus souvent, il faudra renoncer à réprimer, c’est-à-dire tolérer des publications moralement répréhensibles, soit quant au fond soit quant à la forme.

En ce qui concerne Charlie Hebdo, cet hebdomadaire s’est fait une spécialité de tourner en dérision ce qui sert de raison de vivre à ses concitoyens. Cette dérision est incompatible avec une authentique liberté d’expression [3]. Loin de contribuer à fonder une démocratie véritable, elle détruit plutôt le lien social. Il est donc indécent de faire de cette revue un symbole de la liberté d’expression.

Certes, on peut estimer que la prohibition de ce type de publication serait davantage source de désordre que de paix sociale. Par ailleurs, répondre à l’injure par le meurtre est évidemment intolérable. Mais le fait de condamner sans réserves l’assassinat des dessinateurs ne nous conduit pas à nous identifier à une publication qui doit être dénoncée comme foncièrement immorale.

V- Le moral et le légal

La grosse difficulté à laquelle nous nous heurtons est que, pour beaucoup de gens, la distinction entre le légal et le moral est obscure. Ce que la société ne punit pas leur apparaît comme un droit. Incapables de percevoir que l’homme accède à son humanité grâce aux vertus, ils n’ont pas d’autre ambition que de se conformer à ce que la société dans laquelle ils vivent déclare légitime.

En fait il est clair que le pouvoir politique doit souvent tolérer un certain mal moral, c’est-à-dire renoncer à le réprimer. Mais cette tolérance est tout à fait autre chose que le respect dû à la légitime diversité des convictions et des opinions relatives à l’organisation de la vie sociale. Or nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à faire cette distinction.

En ce qui concerne toute une presse de bas étage, il faut comprendre que le fait de la tolérer ne lui confère aucune dignité. Nous avons le droit et le devoir d’en dénoncer la sottise et la méchanceté. Nous pouvons, si nous jugeons que cela est avisé et utile, nous tourner vers les tribunaux pour obtenir réparation des injures subies.

On doit constater toutefois que de nombreux chrétiens de droite comme de gauche manquent de réalisme politique lorsqu’ils demandent à l’État d’imposer à nos concitoyens, par voie administrative ou répressive, un mode de vie conforme à l’ensemble des principes moraux auxquels nous sommes légitimement attachés. Ils ne mesurent pas les difficultés auxquelles sont confrontés les hommes politiques. Ils ont oublié l’enseignement de saint Thomas d’Aquin selon laquelle le pouvoir civil ne pouvant réprimer tous les vices doit se contenter de réprimer en priorité les comportements qui menacent la paix civile.

L’attitude intransigeante de ces chrétiens est contreproductive. Car elle les éloigne de ce qui demeure notre responsabilité qui est de distinguer le vice et la vertu et de faire usage de la liberté d’expression pour expliquer sans relâche en quoi la vertu conduit au bonheur et à la liberté et pourquoi le vice conduit au malheur et à la servitude.

VI- L’Évangile et le dynamisme humanisant

Dans l’effort pour déterminer ce qui est conforme à la dignité de l’homme, les chrétiens font œuvre de raison et peuvent se trouver en accord avec des hommes et des femmes qui ne partagent pas leur foi. Il faudra alors bien distinguer deux choses. D’une part la coexistence pacifique au quotidien, d’autre part la question de la vérité.

En ce qui concerne la vie quotidienne, il faudra bien accepter de respecter la diversité de nos convictions religieuses et philosophiques. Il faudra reconnaître que le dynamisme moral inscrit dans le cœur de tout homme conduit à cette coexistence pacifique et au respect mutuel.

L’effort entrepris à l’heure actuelle pour obtenir que nos compatriotes musulmans condamnent le terrorisme islamiste est méritoire. Pour qu’il porte du fruit il faut bien sûr que soit posée la question de l’interprétation du Coran. Mais il faut aussi que nous prenions conscience de ce que peut avoir d’odieux toute une « culture occidentale » qui se glorifie de tourner en dérision certaines réalités constitutives de l’humanité de l’homme.

Mais tout cela ne nous dispense pas d’annoncer l’Évangile. Notre désir de parvenir à une coexistence pacifique n’implique aucun relativisme. N’oublions pas que notre foi est une grâce qui n’est pas encore donnée à tous. Seule cette grâce permet de percevoir la vérité du christianisme. En tant que citoyens, nous affirmons la nécessité d’un respect mutuel et d’une neutralité de l’État. Mais cela ne nous empêche d’espérer que, Dieu aidant, nos concitoyens accèdent à la pleine vérité du mystère du Christ.

Pratiquement, que faire ?

1/ À court terme


L’analyse qui précède n’a pas d’objectif politique à court terme. Il n’est pas question de se désolidariser du mouvement de protestation contre le terrorisme ou de s’opposer à l’action du gouvernement. On peut, de façon légitime, déplorer le simplisme des slogans qui ont fédéré tous ceux qui ont participé d’une manière ou d’une autre aux manifestations. Mais les hommes politiques se trouvent confrontés à des situations d’urgence et savent qu’il va falloir intensifier la lutte contre le terrorisme islamiste.

Or ce qu’ils craignent par-dessus tout c’est d’avoir à affronter en plus de l’ennemi extérieur un ennemi intérieur. Ils ont perçu que l’occasion se présentait d’obtenir que la population de notre pays les soutienne davantage dans cette lutte et qu’un grand nombre de musulmans condamnent ces assassinats comme étrangers à l’islam. L’avenir dira dans quelle mesure ces objectifs ont été atteints.

2/ À long terme

Nous devons comprendre que l’action policière et militaire demeure et demeurera nécessaire mais ne peut à elle seule résoudre les problèmes posés par le terrorisme islamiste.

Deux points sont à mes yeux incontournables.

En ce qui concerne les musulmans. Il faudra bien que soit posée la question de l’interprétation du Coran. C’est une question que les autorités et les intellectuels musulmans ne peuvent indéfiniment esquiver. C’est une question qu’il faudra bien aborder dans l’indispensable dialogue avec les musulmans.

En ce qui concerne la culture occidentale. Nous devons nous aussi nous interroger sur notre propre tradition. Il faut que nous acceptions de nous interroger sur notre conception libérale de la liberté. Nous ne pouvons pas continuer à définir la liberté en disant que celle-ci « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas autrui » (article 4 de la déclaration de 1789). Nous ne le pouvons pas pour trois raisons :
1/ Cette définition est insuffisante car l’homme n’accède à la liberté qu’en développant en lui la maîtrise de soi, la fermeté d’âme, le respect d’autrui et la clairvoyance sur ce qu’il a à faire.
2/ Cette définition est illusoire car elle ne donne aucune limite à la volonté de la majorité parlementaire et autorise toutes les restrictions venant du pouvoir politique.
3/ Cette définition est incompréhensible pour la multitude des hommes qui sont les héritiers d’autres traditions religieuses et d’autres sagesses que celles qui ont façonné la civilisation occidentale.

Il est temps de remettre en cause la prétention de l’individualisme libéral à régenter la planète.

Il est temps de comprendre qu’il y a un dynamisme moral constitutif de l’humanité de l’homme et que l’on ne construira aucune société, aucune démocratie en méprisant ce dynamisme

Il est temps de percevoir que la liberté est la capacité d’initiative dans le bien.


Laurent Sentis est docteur en théologie, spécialisé en théologie morale catholique. Il travaille depuis longtemps pour montrer comment la vertu est le fondement de la liberté. On trouvera, sur cette question, des éclaircissements dans l’ouvrage intitulé De l’utilité des vertus (Beauchesne, 2004). Un ouvrage en préparation : La liberté qui nous est donnée. On pourra aussi télécharger diverses études sur le site : http://www.bibletcec.com/sentis.ws

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«Ce qui arrive est la conséquence de notre aveuglement»

http://www.famillechretienne.fr/societe/politique/apres-les-attentats-de-paris-xavier-lemoine-ce-qui-arrive-est-la-consequence-de-notre-aveuglement-nbsp-157666

par Xavier Lemoine

Le maire de Montfermeil alerte les pouvoirs publics depuis des années. Voici son diagnostic.

Comment avez-vous reçu la nouvelle de l'attentat contre Charlie Hebdo ?

 Face à une telle nouvelle, c'est la stupeur qui règne d'abord. L'attaque a été menée de façon très professionnelle, avec une vraie intelligence politique. La réponse immédiate émotive est légitime. Mais au fond, je ne suis pas vraiment étonné. Nous savions que des gens revenaient du djihad, aguerris et déterminés. Nous voyons se manifester la conséquence logique de notre aveuglement.

De quel aveuglement parlez-vous?

Je parle de l'impossibilité en France d'utiliser des mots précieux, comme patrie. Je parle de la machinerie de la gauche qui l'a utilisée pour interdire une réflexion sur l'im­migration. Je parle de la lâcheté de la droite, et de son incapacité à reprendre ce débat, de la loi Gayssot, qui a paralysé l'expression politique sur l'immigration. Depuis plusieurs dizaines d'années, il n'est plus pos­sible de mener une réflexion sur l'immigration sans être accusé de racisme. Aussi est-il interdit de réflé­chir sur la bascule démographique qui se met en place dans notre pays, et de penser que c'est la démographie qui fait l'histoire. Autre aveu­glement, celui qui consiste à ne pas voir notre responsabilité collective dans la mise en place d'une société hédoniste et matérialiste. Philippe de Villiers remarque que tous les ans, en France, ont lieu deux cent mille avortements et que deux cent mille immigrés entrent sur le territoire. Le paral­lèle est frappant.
«Les "succès" de l'islam sont proportionnels à la tiédeur des chrétiens et inversement.»
L'expression violente de ce malaise n'est peut-être qu'un épiphénomène, non?

J'ai bien peur que non, et que nous entrions dans le temps où nous allons solder dans la douleur nos reniements. La Répu­blique française connaît la réalité du terrain, mais elle n'a pas voulu, pour des raisons idéologiques, prévenir le danger. Elle a préféré s'enfermer dans un discours lénifiant. Notre surdité a enclenché des mécanismes extrêmement puissants, encore amplifiés par des événements internationaux, en Syrie, par exemple, où l'Occident a sa part de responsabilité. Face à cela, le discours dominant qui proclame: «Attention, pas d'amalgame ! » ne convainc plus. Au contraire, j'ai le sentiment que la machine s'emballe et monte en puissance.

Il faut pourtant le dire : tous les musulmans ne sont pas des terroristes, tant s'en faut !

Certes ! Il faut toujours fermement distinguer l'islam comme système politico-religieux et les musulmans. Ces derniers ont des lectures et des pratiques très diverses du Coran, d'autant qu'il n'existe pas à pro­prement parler de hiérarchie dans l'islam, au moins chez les sunnites. Beaucoup en ont une lecture pacifiste. Mais la lecture belliciste n'est pas moins licite que la pre­mière ! Ces minorités qui ont une lecture violente du Coran font fortement pression sur le reste de leur communauté. J'en témoigne, moi qui ai vu en trente ans nombre de musulmans que je connaissais s'éloi­gner de nous par leurs comportements ves­timentaires, alimentaires, et recréer une société parallèle à la nôtre. ÏÏ faut aussi avoir le courage de dire que l'islam est un sys­tème totalisant. Céder à l'intimidation et se taire, c'est s'interdire de poser un constat et d'y répondre. Nous avons besoin d'un nouveau discours de Ratisbonne. Benoît XVI se contentait de poser une question sur la place de la violence dans l'islam, question à partir de laquelle l'intelligence peut s'exercer. C'était un discours prémonitoire. Mais nous avons choisi de refuser la réflexion, et refermé le couvercle, pour être sûr que la situation explose vraiment un jour.

Mais la violence de cet attentat permet­tra de mettre sur la table ces non-dits?

Nos politiques continuent de refuser de poser la question, et pratiquent le déni.

Les premières réactions du système média­tique sont édifiantes. Mais la population, elle, commence à s'exaspérer. Il y a une telle violence rentrée en France ! Je crains que les choses ne se fissurent, mais dans la violence, et non pas dans l'analyse. Pour l'éviter, il est primordial pour chacun de prendre de la hauteur, d'analyser avec luci­dité ce qui se passe, avant que tout discer­nement soit aboli et que les passions se déchaînent.

Quelles ressources les Français ont-ils aujourd'hui pour redresser un pays débous­solé?

Les « succès » de l'islam sont proportion­nels à la tiédeur des chrétiens et inverse­ment. Il me semble que la France se perd aujourd'hui à rechercher une identité. Son renouveau me semble plutôt lié à sa vocation. La vocation n'est pas quelque chose que l'on choisit, que l'on revendique, elle est donnée et on se met à son service. Pour la France, cette vocation s'est exprimée dans la bouche des souverains pontifes, des grands mystiques et des saints. La France est fille aînée de l'Église et édu-catrice des peuples. Pour arracher la France a sa vocation, on a coupé les Français de leurs racines, de leur histoire. Chacun à son poste est responsable de cette transmis­sion, chacun est appelé à être le témoin de cette vocation. Il faut cesser d'attendre l'homme providentiel, celui qui ne vient jamais et décourage chacun d'agir selon son devoir d'État.

Comment, en tant que maire et en tant que chrétien, vous préparez-vous?

J'ai la prière comme point d'appui, n nous faut être éclairés au jour le jour pour savoir ce que nous devons faire. J'essaie aussi de cultiver une attitude spirituelle de demande et de confiance. Je médite la lettre de Charles de Foucauld qui propose comme seul remède la cohabitation quotidienne avec les musulmans, pour les amener à découvrir le Christ. •

Propos recueillis par Pauline Quillon

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Après le drame, un débat sur la "liberté d'expression"

par Patrice de Plunkett 

Dans le sillage du drame de la semaine dernière, Le secret des sources (France Culture) traitait de la « liberté d'expression » : irresponsabilité des médias ? sens du « je suis Charlie » ? etc :

La sémiologue Mariette Darrigrand a mis en cause la mentalité du journaliste retranché derrière le « je fais mon métier » (« comme pourrait le dire un industriel de l'agro-alimentaire ») et revendiquant sa propre subjectivité « alors que dès la première année d'école de journalisme on leur apprend à ne pas dire "je"». La sémiologue s'interroge même sur le dogme de la« liberté d'expression » : « C'est une notion qu'il faudrait réviser... La liberté d'expression ne peut pas être l'émanation du Moi, le droit personnel à jouir de quelque chose... Il faut réfléchir à la finalité ! »

Sous la direction de Val puis de Charb, Charlie Hebdoavait cessé d'être un journal anarchiste pour devenir l'une des expressions du subjectivisme contemporain. Insulter les religions toutes les semaines (de façon ordurière), mais en ignorant tout de ces religions : la posture de Charlie ne mérite pas d'être appelée« critique des systèmes de pensée » – n'en déplaise à Christophe Deloire*, autre invité de l'émission de ce matin. D'autant que ces insultes véhiculaient une véritable haine antireligieuse, synthétisée par la phrase de Charb : « Ce ne sont pas des églises et des mosquées qu'il faut construire, mais des asiles psychiatriques ! ». Cette phrase était digne de Béria*. Or elle a été proclamée dimanche soir dans le grand auditorium de Radio France, à la soirée d'hommage àCharlie Hebdo, et elle a été acclamée par le public : un public composé du tout-Paris politico-médiatique, sous le patronage du ministère de la Culture.

Nathalie Saint-Cricq est qualifiée par Rue89 de« grande prêtresse de la politique sur France 2 ». Elle y a fait cette déclaration qui donne froid dans le dos : tous ceux qui « ne sont pas Charlie », tous ceux « qui ne voient pas en quoi ça les concerne », il faut (a-t-elle dit) les « repérer » et les « traiter ». Repérer ettraiter ! Ce vocabulaire est symptomatique. Un certain nombre de nos « leaders d'opinion » n'hésitent pas à refuser la liberté d'expression à ceux qui disent « je ne suis pas Charlie », et à demander qu'on les rééduque ! Et ils en appellent pour ça « aux politiques » : ce qui pourrait présager des lois répressives sans précédent de ce côté-ci de l'Atlantique.

Et à quoi faudrait-il « rééduquer » les non-Charlie ? à« nos valeurs » ? les valeurs de qui ? ou plus exactement, de quoi ? Celles du matérialisme mercantile, de l'hédonisme de consommation, de l'hyper-individualisme libéral. Des valeurs de néant, qui sont, en fait, la meilleure arme – contre nous – de nos agresseurs djihadistes, dont l'idéologie folle vient remplir nos vides. D'où le phénomène de conversion de jeunes « Français de souche » au salafisme...

Valeurs de néant qui inspirent, chez les médias, le recroquevillement du journaliste sur « l'émanation du Moi, le droit personnel à jouir de quelque chose » ; et chez le rédacteur en chef d'un canard papier en déclin, la recherche maniaque, et par n'importe quel moyen, du « coup » sans autre finalité que les ventes. Et quand je dis « n'importe quel moyen », ce moyen peut être « l'allumette con dans la poudrière » – comme Daniel Cohn-Bendit le reprochait à Charb en 2012, et comme le disent aujourd'hui (en d'autres termes) Frédéric Lordon, Rony Brauman et d'autres.

Il y a dix ans, Philippe Muray ou Alain Finkielkraut signalaient l'entrée de notre société dans la tyrannie de la Dérision. C'est l'idéal affiché de notre post-démocratie : le droit à l'insulte, ignorante mais d'une violence inouïe. Les chrétiens ne répliquent pas aux insultes car c'est selon leur foi : Matthieu 5,11,« bienheureux serez-vous quand on vous injuriera et qu'on dira en mentant toute sorte de mal contre vous à cause de moi... » Mais l'islam est une loi : et les djihadistes sont résolus à l'appliquer par la terreur à tout le monde – même hors des terres d'islam, et même aux incroyants. Croire que l'on peut traîner impunément dans la boue «toutes les religions» est une fausse symétrie et un mirage dangereux... Mais le tout-Paris politico-médiatique n'en a pas la moindre idée. La dernière couverture de Charlie Hebdo incendie de nouveau le monde arabo-musulman, des foules furieuses brûlent des drapeaux français dans les rues d'Alger ; les confrères de Mme Saint-Cricq ne voient pas l'enchaînement de cause à effet.

Que proposent-ils ? L'un d'eux disait ce matin qu'il fallait maintenant « agir au niveau international » : il pensait sans doute à l'OTAN. Plus notre néant culturel, spirituel et moral pousse nos propres musulmans (et d'autres) vers la révolution djihadiste, plus il faut envoyer nos avions bombarder des villages musulmans dans le reste du monde. Et l'on entend rire le diable.

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